Recordwoman de la Song Of The Week, Courtney Barnett a l’honneur de cette rubrique pour la cinquième fois, cette fois-ci avec un extrait de son nouvel album au titre qui invite à la patience « Things Take Time, Take Time » (les choses prennent du temps, prennent du temps). Après une longue tournée mondiale qui l’a laissée sur les rotules et l’excellent single furieusement électrique Everybody Here Hates You, l’auteure-compositrice était restée à Los Angeles où elle comptait s’installer suite à sa rupture d’avec sa compagne (la musicienne Jen Cloher qui reste sa partenaire en business par leur maison de disques Milk!) et car elle avait un appétit pour la scène musicale californienne. Las, une pandémie lui a intimé de vite regagner ses pénates et c’est ainsi que Courtney Barnett s’est réinstallée dans sa Melbourne natale et pour la première fois depuis peut-être six ans, elle a eu le temps de s’asseoir et de réfléchir (son premier album était titré « Sometimes I Sit And Think, and Sometimes I Just Sit »). Il n’est alors guère étonnant que ce bref album (dix chansons en à peine trente-quatre minutes) soit ce que la musicienne a fait de plus intime et de plus introspectif. Un vrai album de chambre en somme, écrit et composé entre le lit, le bureau et la fenêtre pour tout de même regarder au dehors, scènes de rue qu’elle décrit avec minutie et tout le talent de conteuse qu’on lui connaît dans Rae Street, la joliment enjouée chanson folk rock qui ouvre « Things Take Time, Take Time ».
Courtney Barnett raconte au Guardian qu’elle a travaillé les chansons chez elle et ne voulait pas importuner ses voisins, ce qui fait que l’ambiance musicale est cette fois-ci plus douce. Elle a pour se faire utilisé des boîtes-à-rythmes et des guitares acoustiques pour asseoir les fondations des chansons, bercée et inspirée par l’écoute répétée de disques de Leonard Cohen et des œuvres douces et répétitives d’Arthur Russell et Brian Eno. Elle envoya ensuite les démos à Stella Mozgawa, compatriote batteuse du groupe Warpaint et collaboratrice régulière de son ami Kurt Vile. Et en profita pour lui proposer de co-produire l’album, qu’elle réaliseront presqu’intégralement à deux. D’aucuns regretteront (comme moi-même lors des premières écoutes de l’album) l’absence de la fulgurante section rythmique qui l’accompagnait depuis ses débuts (le bassiste Bones Sloane et le batteur Dave Mudie, qu’on ne retrouve ici qu’aux chœurs dans la brève et très rock Take It Day By Day) qui électrisait totalement la musique de Courtney Barnett, comme ce fut le cas tout au long de son très énergique second album « Tell Me How You Really Feel ». Qu’on se rassure, les deux musiciens ont retrouvé leur poste sur scène pour la tournée qui démarre en ce moment aux USA. Barnett dit d’ailleurs qu’ainsi les chansons sont plus pétillantes. De toute façon, elle n’a jamais hésité à booster et tordre ses chansons en live. En attendant, « Things Take Time, Take Time » est un album particulièrement réconfortant et consolateur, agissant comme un bras qui vous prend par l’épaule. Ses chansons parlent de relations humaines… La très accrocheuse et très folk Before You Gotta Go est clairement un message adressé à la partenaire qui l’a quittée, mais l’universalité du message peut coller à toutes les séparations, amoureuses ou amicales.
Même thématique pour la remarquable Here’s The Thing, qui nous intéresse ici, où Courtney Barnett enlumine son folk rock de touches dream pop, comme ces notes de guitare aiguës et plaintives qui rappellent celles qu’on entendait dans les albums pop d’Eno et donne avec l’écho sur l’arpège de guitare une couleur indie pop à l’ensemble. Alors qu’elle parle de lente reconstruction après la rupture, elle s’attarde sur les petits détails de beauté autour d’elle, un rayon de soleil sur le rebord de la fenêtre mais pense ne pas être capable de sortir de sa chambre pour l’instant… La voix passe de la prosodie à la Lou Reed, parlée chantée qu’elle maîtrise depuis ses débuts à un registre plus aigu éminemment fragile et émouvant. Son toucher de guitare joué aux doigts, sans médiator confère à son jeu une vraie personnalité quand bien même on est loin de la virtuosité, ce qui n’est pas un problème pour cette immense adepte de la méthode Velvet Underground. Les bonnes chansons abondent ici, comme les impeccables If I Don’t Hear From You Tonight (qui accueille la musicienne galloise Cate le Bon à la basse) et la très accrocheuse Write A List Of Things To Look Forward To, les surprises aussi, telle Turning Green, tournerie mécanique bruitiste à l’astringence new-wave ou la fragile ballade martelée au piano Oh The Night. Diffusant sa mélancolie altruiste et bienfaisante tout au long de ce disque, Courtney Barnett dévoile avec brio et modestie une nouvelle facette de son talent. Qui n’a de cesse de me séduire.