Le troisième et nouvel album de Malik Djoudi « Troie » est celui qui devrait installer ce singulier artiste dans le peloton de tête d’une certaine chanson française évolutive, celle grâce à laquelle ses compagnons de label Philippe Katerine, Bertrand Belin ou Dominique A sont devenus les figures incontournables d’une expression musicale et poétique en français qu’on peut écouter sans réserve, sans que clignote le signal d’alarme qui crie très fort « Variété », cette malédiction stylistique qui nous empoisonne depuis si longtemps et nous a fait nous immerger dans la pop anglo-saxonne.
Je vous avais présenté le musicien poitevin avec A mes côtés (SOTW #186), très beau duo avec Etienne Daho extrait de « Tempéraments », son second album de pop électronique aérienne raffinée. Pour son troisième effort discographique, Malik Djoudi s’est enfermé dans un studio de la Villa Noailles à Hyères (on fait pire comme lieu de réclusion). Le fameux producteur Renaud Letang (qui a travaillé avec rien moins que Philippe Katerine, Gonzales, Feist ou encore Connan Mockasin) lui avait confié qu’il aimerait travailler avec lui, étant fasciné par sa voix et son univers musical, mais désirant apporter une touche plus organique à sa musique. Cette proposition a résonné dans la tête de l’obsédé des synthétiseurs vintage et autres mellotrons qu’est Malik Djoudi. Celui-ci venait en outre de terminer une tournée en solitaire avec ses machines, donc l’idée de changer sa méthode de travail en intégrant d’autres musiciens ne pouvait que l’intéresser. Il s’est donc adjoint d’une section rythmique basse et batterie puisqu’il s’occupait déjà naturellement des claviers et des guitares. Et c’est surtout au niveau du groove moelleux et indolent qui parcourt les douze chansons composant « Troie » que ça se remarque. Comme si l’artiste, sans doute influencé par les parages méditerranéens, était passé de l’ombre à la lumière.
Plus souples et plus solaires sont les chansons de « Troie ». Autre différence de taille, la voix habituellement séraphique du chanteur prend d’autres nuances, beaucoup plus charnelles. On l’entend s’aventurer dans sa voix naturelle, grave et parfois rauque et la palette vocale s’en trouve d’un seul coup enrichie. C’est manifeste dans Où tu es qui ouvre l’album de bien belle façon avec sa coda inattendue ou dans le très électro et dansant Danger. Amateur de duos, il invite cette fois-ci Philippe Katerine sur l’enjoué et fraternel Eric et a convaincu Isabelle Adjani à revenir devant un micro pour susurrer dans le délicat et flottant Quelques mots. Pour Point sensible, le premier single issu de « Troie », il accueille la rappeuse lyonnaise Lala &ce, dont il apprécie le phrasé sortant des codes habituels et le style. La jeune femme possède en effet un flow grave, lent et sensuel très personnel, tout comme son hip hop aux rythmiques planantes et au son touffu (écoutez Sous tes lèvres, extrait de son premier album « Everything Tasteful » pour vous faire une idée, vous serez surpris par son audace). Brève chanson dansante à la rythmique syncopée et aux aériens contre-chants de synthé, cette ode à la sensualité tape direct et juste : « Montre-moi ton point sensible, je te dirai qui tu es… Tous mes points inaccessibles, peux-tu m’en faire un poème, lâche-toi, tout est permis ». On comprend encore une fois pourquoi Daho a vu en Djoudi un héritier, pas seulement musicalement. Cette fois-ci, Malik Djoudi passe le témoin à une jeune rappeuse, l’invitant hors de son territoire hip hop et la sortant de sa zone de confort, c’est tout à son honneur. Oscillons donc sur ce groove léger comme une bulle de savon mais à la sensualité bien terrienne, ça ne peut faire que du bien…