Et si le simple fait de faire de la musique, d’être avec ses proches, ceux qu’on aime ou de simplement chanter une chanson permettait de dissiper un peu les ténèbres qui nous emprisonnent ? Telle est la réflexion qui a conduit Chris Baio à écrire et enregistrer son troisième album Dead Hand Control, qui enrichit une carrière musicale déjà conséquente tout en lui permettant de s’exprimer in extenso sur un monde qui décidément ne tourne pas rond. Le bassiste et membre fondateur de Vampire Weekend a profité de la fin aussi précipitée qu’anticipée de la tournée du groupe Father Of The Bride pour cause de pandémie pour immédiatement se remettre au travail, au studio 13 de Damon Albarn à Londres avec l’excitation et l’inspiration procurées par le fait de se trouver dans l’antre de l’une de ses idoles), puis dans celui qu’il a monté à Los Angeles avec son collègue batteur Chris Tomson.
Le New-Yorkais avait depuis longtemps diversifié ses activités musicales d’une façon très underground, et ceci malgré (ou grâce à…) l’énorme succès rencontré par son groupe, au sein du groupe de rock expérimental C.Y.M. ou bien en lançant son propre projet solo de pop électronique (qu’il double de DJ sets, ayant travaillé comme DJ jusqu’à la formation de Vampire Weekend) tout simplement nommé Baio. Je vous avais déjà présenté son travail avec un extrait son premier album The Names en 2015 (« Sister Of Pearl », SOTW #69), série de chansons enchaînées comme dans un DJ set justement, passant sans effort d’une house music légère à une pop joueuse et dansante redevable à David Byrne et Talking Heads. Le second album Man Of The World en 2017 est un peu plus confus même s’il compte quelques excellentes chansons (« Vin Mariani », « Be Mine ») tant son créateur avoue avoir été à fleur de peau au moment de sa réalisation et s’être trop hâté. Traumatisé par la conjoncture politique mondiale avec le Brexit (il habitait Londres à l’époque), Trump aux commandes, la montée des populismes de tout poil et par la disparition de son artiste favori, David Bowie, il estime aujourd’hui avoir voulu trop en dire.
Dead Hand Control signifie dans la loi américaine une clause qui, dans un testament, permet de continuer après sa mort à contrôler quelque chose ou quelqu’un (j’espère que ce genre de pratiques est sévèrement réglementée). Dans la chanson titre qui ouvre l’album, Chris Baio s’insurge sans équivoque contre ces contrôles abusifs, d’où qu’ils viennent. « Dead Hand Control, You can take my life but you will never take my soul », tu peux prendre ma vie mais tu n’auras jamais mon âme dit le refrain. La chanson débute comme une chanson folk enlevée rythmée par une guitare acoustique (avec nappes de synthé célestes quand même), la voix dans le registre crooner grave du chanteur étant doublée à l’octave supérieur (procédé que Bowie a énormément utilisé dans ses chansons tout au long de sa carrière), avant de muter à mi-parcours en une electronica hypnotique et voyageuse (les chœurs féminins et le motif de guitare africanisants n’y étant par pour rien), invitant à la danse. La collusion de ces deux styles à priori peu compatibles donne à la chanson une vraie couleur, synthétisant les ambitions musicales de Chris Baio. Deux pôles vers lesquels les chansons oscillent, certaines ouvertement pop et sautillantes à saveur new-wave (la funky « Endless Me, Endlessly » , tube évident, les plus rock « What Do You Say When I’m Not There ? » et « Take It From Me », la très new-wave « Never Never Never » , d’autres étant les longues pièces (entre huit et dix minutes) hybrides electro et pop progressive, très réussies que sont « Dead Hand », « Caisse Noire » et la ballade « O.M.V. », co-écrite avec Ezra Koenig de Vampire Weekend en 2012 et trouvant une expression discographique aujourd’hui. Le résultat justifiait l’attente. Cet album, à la fois profond, varié et feel good malgré la noirceur des thèmes abordés pourrait pousser Chris Baio au devant de la scène, ce qui serait amplement mérité tant l’univers du musicien de trente-six ans est aussi personnel qu’ouvert aux autres….