Rewind : en juillet 2020 sortait A Hero’s Death, second effort discographique du jeune quintette dublinois Fontaines D.C. , un an et demi après un premier album très remarqué, Dogrel, qui a consacré le groupe comme l’un des tous meilleurs de la vague indie-rock britannique. Second album intensément attendu tant leurs premiers enregistrements ont été enthousiasmants. Une volée de singles à l’épatante urgence (dont « Boys In The Better Land », SOTW #174) suffit à définir le son à la fois tendu et charnu et l’univers tout aussi dur que poétique de ces débutants, Dogrel enfonçant le clou. Les cinq garçons sont passés en un temps record du pub du coin aux scènes britanniques et européennes, des salles de concert de plus en plus importantes aux festivals internationaux. Très longue tournée harassante d’où le groupe est sorti rincé, mais lors de laquelle ils ont composé, pendant les si nombreux temps morts inhérents à l’exercice, la matière d’un second album qu’ils comptent bien enregistrer au plus vite. Ils se rendent pour cela à Los Angeles pour donner chair à leur idée de « Beach Boys sombres » avec l’aide du producteur vétéran Nick Launay (Nick Cave, Arcade Fire…). La greffe ne prend pas, le groupe n’est pas convaincu et jette l’enregistrement à la poubelle pour tout recommencer dans leur pénates avec Dan Carey, artisan technique de Dogrel. A croire que les Beach Boys sombres se devaient de surfer sur la froide mer d’Irlande, mais à l’écoute de A Hero’s Death, bien leur en a pris.
L’écueil du second album a été contourné avec aisance par Fontaines D.C. , qui font déjà preuve d’une certaine maturité créative qui leur a permis de faire évoluer leur formule gagnante sans la trahir. Au prix d’une grande exigence musicale qui requiert de l’auditeur plusieurs écoutes pour être apprivoisée. Ça a été le cas pour moi, quelques mois ont été nécessaires pour que j’adopte sans réserves A Hero’s Death. Aujourd’hui, il squatte ma platine et rythme mes journées… Dans ce second album les tempos sont moins frénétiques et les ballades mélancoliques ont ici une place de choix (quatre, placées par deux en fin de faces) comme les excellentes « Sunny » et « No », pièces solennelles où la voix de Grian Chatten se fait caressante et mélodieuse, ce garçon sait chanter et comment. Les morceaux enlevés ont gagné en concision et en puissance, telles « I Don’t Belong », hymne poing levé qui devrait faire chavirer les stades ou les dark mais nerveuses « Televised Mind », « Living In America » et « A Lucid Dream » qui prouvent que la hargne romantique des Dublinois n’a nullement été émoussée. Ils se frottent aussi à l’art rock avec l’étonnante « Love Is The Main Thing », étrange pièce répétitive au rythme déconstruit et aux guitares cinglantes, le refrain n’étant constitué que du titre de la chanson psalmodié comme une mantra. C’est intrigant et pourtant parfaitement addictif. Enfin, on sent une influence new-yorkaise assez prégnante avec les entrelacs de guitares de Conor Hurley et Carlos O’Donnell qui évoquent Television. « I Was Not Born » sonne plus Velvet Underground que nature, avec tempo martelé et riffs coupants.
Rien à jeter parmi ces onze chansons concises et cohérentes, très intelligemment séquencées (comme il se doit dans tout grand album). La chanson titre, qui nous intéresse ici, en est la quintessence. Le riff de guitares jumelles rappelle le « Last Nite » des Strokes, elle-même inspirée par l’ « American Girl » de Tom Petty & the Heartbreakers. Le jovial shuffle de batterie et la basse ronde font signe au « Lust For Life » d’Iggy Pop. De quoi sauter en l’air avant que la voix sombre de Grian Chatten ne s’impose en répétant en talk-over le même vers « Life ain’t always empty » (la vie n’est pas toujours vide) comme pour s’en persuader. Et de décliner, tel un vieux sage, toutes ces petites choses qui nous rendent un peu meilleurs et qui nous permettront de « mourir comme un héros ». Des conseils parfois inattendus, comme ce « Don’t sacrifice your life for your health » (ne sacrifie pas ta vie pour ta santé) ou « Never let a clock tell you what you got time for » (ne laisse jamais une horloge te dire combien de temps il te reste). Et cette bienveillance un peu narquoise fait du bien en cette période impitoyable…
Flash forward : Si l’on peut en l’état danser comme des fous sur « A Hero’s Death », la chanson a tapé dans les oreilles expertes des frères Dewaele, artificiers du dancefloor et cerveaux derrière Soulwax, lesquels ont le privilège de ne remixer que ce qui leur plait. Et leur relecture electro-rock du titre a tant plu aux auteurs de la chanson (et à leur maison de disques) qu’ils en ont fait leur nouveau single. Devenu grâce à cet audacieux lifting un monstre dancefloor hybride, electro funk à combustion punk, le remix de Soulwax garde les choeurs Beach Boys (sombres) et le talk over de Grian Chattan et conserve, d’une façon impalpable mais réelle, l’énergie rock de la version originale, transcendée pour faire déhancher les foules. Enfin, un beau jour qu’on espère proche !