SOTW #210: Grounds, IDLES

« Do you hear that thunder ? It’s the sound of strength in numbers » (entendez-vous ce tonnerre ? C’est le son de l’union qui fait la force). Appel à la révolte ? A la révolution ? Un tel avertissement aux puissants n’avait pas été chanté depuis bien longtemps. Protest song ? Appel à l’insurrection ? Peut-être, même si Joe Talbot, porte-voix de IDLES rectifie le tir en précisant « I am I » (moi, c’est moi), prouvant par ici qu’il n’entend pas se transformer en leader d’opinion. IDLES (désoeuvrés, futiles…) est, parmi les nombreux et très bons groupes britanniques qui ont remis le punk (ou plutôt le post-punk) sur la carte musicale et dont je vous ai déjà parlé dans ces colonnes, Fat White Family, Fontaines DC, LIFE ou Shame, le plus revendicatif, le plus proche de l’éthique tolérante et progressiste qui caractérisait des groupes emblématiques comme the Clash. Et depuis leurs débuts discographiques en 2016 (le brûlot « Brutalism ») ils s’attaquent à une société occidentale malade d’avidité, de racisme, de sexisme en fonçant dans le tas, pas toujours dans la subtilité mais avec un panache admirable, ce qui leur a valu des critiques parfois saignantes de leurs confrères par salves dans la presse interposées.

« Ultra Mono » , nouvel album qui truste déjà les premières places des charts outre-Manche et ayant une grande résonance ailleurs ne déroge pas à la règle instaurée dès le début d’un punk rock monolithique et bagarreur, mais présentant des nuances et des subtilités bienvenues. Après le bien titré « Brutalism » (comprenant les tubes aussi improbables qu’immédiats que sont « Well Done » et « Mother ») et un second album qui les a portés aux nues critiques comme publiques « Joy As An Act Of Resistance » (la joie comme acte de résistance, joli programme…) avec les imparables « Danny Nedelko », « Never Fight A Man With A Perm » et « I’m Scum », le gang de Bristol parvient à évoluer sans pour autant lâcher un iota de rage et d’énergie brute. Et ils y sont parvenus en ouvrant un peu les portes de leur monde, délocalisé au très chic manoir-studio de la Frette près de Paris, et en laissant entrer quelques invités, comme la sémillante Jehnny Beth (Savages) sur le très féministe et farouchement punk « Ne Touche Pas Moi », Warren Ellis l’instrumentiste surdoué des Bad Seeds, le pianiste néo-jazz Jamie Cullum ou le beatmaker hip hop Kenny Beats, et en renouvelant leur confiance envers le très professionnel Nick Launay, émérite producteur de Nick Cave, lequel leur a peaufiné le son qu’il leur fallait. Retour d’ascenseur pour Joe Talbot dont on a entendu la voix rauque sur l’album de Jehnny Beth justement ou sur la dernière mixtape de the Streets. « Ultra Mono » ouvre avec un déclaration de « War », avec rafales de batteries, onomatopées hurlées et méchantes guitares. Le ton est donné et aussitôt on embraye sur l’implacable groove de « Grounds ». Avec son riff de synthé et son tempo éléphantesque invitant presqu’à la danse, la chanson rappelle un certain after-punk de la fin des 70’s comme excellaient à la faire des groupes comme Killing Joke ou Gang Of Four. Le phrasé presque rap, le chant en talk-over accentue la grande précision de la rythmique influencée sans aucun doute par la présence d’un producteur hip hop dans l’aventure et rappelant que Joe Talbot et le guitariste aux impressionnantes bacchantes Mark Bowen ont officié comme DJs dans une vie antérieure. L’union fait la force, levons le poing ensemble, tel est le message martelé par « Grounds ». Tel est le son de la révolte à venir…

« Ultra Mono » est un album de chansons post-punk revendicatrices et humanistes très réussi, qui dépoussière un genre qu’on a trop vite jugé ringard. En atteste la réjouissante « Kill Them With Kindness » (avec l’intro rêveuse au piano de Jamie Cullum et un euphorisant tempo à deux temps), le musclé et sarcastique « Model Village » (et son clip bricolé signé Michel Gondry, ça faisait longtemps…), l’impressionnante et majestueuse « A Hymn » ou la très catchy « The Lover ». Avec de telles cartouches mélodiques et percutantes, IDLES peut espérer atteindre sa cible et faire enfin se lever le public !