Je n’ai découvert Mitski que très récemment, ma curiosité avait été piquée par le fait que l’un des sites musicaux les plus influents et prescripteurs, Pitchfork, avait couronné son album « Be The Cowboy » album de l’année 2018. Ce disque apparaissait en outre ça et là dans les divers classements de fin d’année. Un petit tour sur les vidéos de la dame a vite justifié cet engouement général, il fallait donc que je creuse.
New-Yorkaise, Americano-Japonaise, Mitski Miyawaki a étudié la musique au sein d’une de ces prestigieuses écoles qui font florès de l’autre côté de l’Atlantique, le Purchase College Conservatory of Music. Cette pianiste a d’ailleurs réalisé et auto-produit ses deux premier albums en 2012 et 2013, lors de sa dernière année d’études, où elle a pu compter sur le soutien des orchestres de l’école pour se frotter au métier d’auteure-compositrice. Elle obliquera néanmoins vers l’indie pop dès son troisième et premier « véritable » album, utilisant la guitare et les pédales fuzz au lieu du piano et des ambiances orchestrales et classicisantes qu’elle avait privilégiées jusqu’ici. Son jeu cru et impulsif, contrastant avec sa jolie voix claire déclamant des paroles semblant intimes déclenchera l’enthousiasme de tout un public rock, lui assurant un contrat discographique digne de ce nom et la fera tourner en solitaire un peu partout dans le monde occidental. L’album suivant, « Puberty 2 », sorti en 2016 est acclamé et Mitski se fera les dents sur scène en assurant la première partie de la tournée des Pixies, avec groupe cette fois-ci. A 28 ans, elle sort son déjà cinquième album pour lequel elle aborde un vrai virage stylistique et réalise avec « Be The Cowboy » un étonnant bond en avant et où elle impose un style parfaitement original.
Mitski s’aventure dans une direction résolument pop, troquant les guitares (utilisées ici avec parcimonie mais à très bon escient) pour les claviers, renouant ainsi avec sa formation de pianiste. Interprété et réalisé avec son producteur Patrick Hyland, « Be The Cowboy » aligne quatorze brefs morceaux (l’album totalise à peine trente-deux minutes) d’une concision et d’une efficacité totales tout en faisant preuve d’une savante complexité, où l’auteure narre des petites histoires parlant d’isolement, de force et de faiblesse, d’histoires d’amour volatiles avec une diabolique précision et aussi pas mal d’humour. « Nobody », second single issu de l’album est la chanson la plus dansante de l’album, alliant de mélancoliques accords de piano, un riff de guitare sautillant et funky et un beat à quatre temps soutenu, un imparable « four to the floor » qui évoque un peu l’excellent « Lovefool » des Cardigans. Une version disco de Mitski ? Pourquoi pas, mais la mélodie vocale suinte une douce mélancolie, sentiment renforcé par la clarté du timbre de la chanteuse. Elle y chante la solitude, sans doute inspirée par l’isolement ressenti lors d’une longue tournée, et cherche clairement la relation humaine « God, I’m so lonely, so I open the window to hear sounds of people » (Dieu, je suis si seule, alors j’ouvre la fenêtre pour entendre le son des gens). Hélas, « Venus, planet of love, was destroyed by global warming » (Vénus, planète de l’amour, a été détruite par le réchauffement climatique). Elle ne cherche pourtant pas la compassion d’autrui (« And I don’t want your pity, I just want someone near me » (Et je ne veux pas de ta pitié, je veux juste quelqu’un près de moi), veut simplement qu’on l’embrasse tout en sachant que ce n’est pas ça qui la sauvera… Et comme une mantra, elle répète à l’infini le mot « Nobody » (personne), mot qui se déforme et dont la répétition génère une sensation d’infini. N’importe qui peut s’identifier à ces paroles, quoi de meilleur que danser avec une larme au coin de l’oeil, et qui sont in fine réconfortantes.
Si « Nobody » est d’évidence le tube certifié de « Be The Cowboy », les autres titres méritent qu’on s’y attarde, tel ce « Geyser » qui ouvre l’album, qui comme son nom l’indique bouillonne avec ses guitares distordues qui figurent l’éruption du désir. Le pétillant et country « Lonesome Love », le rugueux « Remember My Name » vous rentrent vite dans la tête, tout comme la majestueuse ballade finale où ne résonne qu’un seul piano « Two Slow Dancers », où le dénuement musical n’altère jamais la sensation de puissance ressentie à son écoute. Et Mitski s’avère être une artiste du calibre d’une St Vincent, d’un Perfume Genius ou d’une PJ Harvey, une grande !