SOTW #157 : Mardi Gras Beads, Parquet Courts

Les perles du Mardi Gras ne sont pas de saison, pourtant, « Mardi Gras Beads », ballade mélancolique et nerveuse sera tout aussi brillante et belle sous le ciel de l’été. Le nom du groupe américain Parquet Courts ne résonne pas encore aussi fortement qu’il devrait en Europe, c’est pourtant l’un des combos de rock les plus captivants du moment, et ce depuis quelques années. Formé à Brooklyn, Parquet Courts réunit les deux chanteurs, guitaristes et compositeurs Andrew Savage et Austin Brown, Max Savage, frère cadet du premier à la batterie et Sean Yenton à la basse. Les guitaristes se sont rencontrés à l’université de Denton au Texas, rencontre motivée par un goût partagé pour un rock à tendance punk. En ces temps où les groupes sortent, au mieux, un disque tous les trois ans, on est frappé par la productivité de Parquet Courts. Depuis ses premiers concerts donnés en 2010, le groupe a en effet sorti six albums (plus un live, et la belle collaboration avec l’écrivain italien Daniele Luppi, « Milano », dont Simon vous a tressé les lauriers cet automne). C’est lors de ces sessions qu’ils ont croisé le chemin du prestigieux producteur Brian Burton (alias Danger Mouse), plus connu aux manettes derrière Gorillaz, U2, Black Keys ou encore Red Hot Chili Peppers) et qu’ils ont décidé de l’embaucher pour la réalisation de leur futur album. On pouvait légitimement craindre qu’une telle figure totémique de la production n’arrondisse trop le son saillant et post punk des Brooklynites, il n’en est rien. Pour l’excellent « Wide Awake! », c’est Danger Mouse qui s’est intégré dans l’univers de Parquet Courts et non pas l’inverse. Les angles de leur musique sont toujours aussi aigus, les arrangements aussi hirsutes, les voix aussi mal élevées. Par contre, le tout a gagné une formidable puissance de feu, prouvant ainsi que les producteurs vedettes ne sauraient dompter des caractères aussi trempés (Danger Mouse pas plus que Mark Ronson quand il s’occupa des cas des teigneux Black Lips ou de Queens of the Stone Age).

Aussi banale que soit leur composition de groupe de rock deux guitares, basse et batterie, ces quatre garçons n’ont toutefois pas tant de pairs que ça dans le genre. Leur style, solidement arrimé dans le post-punk et le rock arty de la fin des années soixante-dix (avec le Velvet Underground comme ancêtre, Talking Heads et Wire comme parents), n’est jamais nostalgique, ne donne pas dans la respectueuse commémoration. Au contraire, ces influences sont transcendées par une énergie vitale, un second degré salvateur et une réelle envie d’en découdre. Ainsi retrouve t-on des guitares hachoir, des voix étranglées, des rythmiques sèches comme des coups de trique mais délivrées avec une émotion très personnelle et exempte de frime. « Wide Awake! » est un album bagarreur, les chansons (dont certaines sont très brèves) sont sciemment abrasives et mal peignées, comme cet excellent et punky « Total Football » (titre de saison avec clip réalisé avec des autocollants Panini) introductif au tempo variable, ou ce medley de deux chansons réunies en une seule « Almost Had To Start A Fight/In And Out Of Patience », qui sont pourtant instantanément mémorables. Des grooves presque funky apparaissent (« Violence » au beat quasi G-Funk) et prouvent la volonté d’ouverture de Parquet Courts, tout comme le morceau titre, appel au lâcher prise beuglé en choeur emmené par une cowbell endiablée, dans une ambiance de carnaval sans doute inspirée par celui de la Nouvelle-Orléans. Et dans cette débauche d’énergie, la tendre ballade (enfin, la respiration mid-tempo de « Wike Awake! ») étonne par sa joliesse, sa mélodie rêveuse, ses guitares carillonnantes. Composée par Austin Brown, chantée à deux voix, « Mardi Gras Beads » est le revers de la médaille du carnaval de par sa mélancolie un peu cafardeuse, sa nostalgie tire-larmes. Cette miniature flottante et émouvante, criant le besoin de se retrouver seul au milieu de la foule en liesse (comme illustré par la vidéo, où le guitariste s’évade de la fête et du reste du groupe) est d’une parfaite cohérence au milieu de ce disque furibard, et fonctionne divinement toute seule. Bande-son idéale sous les étoiles des nuits de l’été.