SOTW #150 : Four Out Of Five, Arctic Monkeys

Le postier m’a remis le colis contenant le nouvel album de mon groupe favori depuis quelques années, Arctic Monkeys, « Tranquility Base Hotel + Casino » en version vinyle deluxe le matin de mon anniversaire, détail qui ne s’invente pas. Disque intensément attendu (les Monkeys n’avaient rien sorti depuis « AM » en 2013), le suspense avait été savamment entretenu, aucun signe avant-coureur n’avait fuité hormis une bande-annonce intrigante (carrousel de claviers flottants suivi par un riff de guitare fuzz sur l’image d’une maquette en rotation représentant une architecture de l’espace) et si aucun single n’avait été prévu pour booster cet album d’ores et déjà considéré comme une oeuvre, les quelques concerts de chauffe en Californie et le passage à l’émission de Jimmy Fallon dévoilèrent quelques jours avant « Four Out Of Five », qui s’avère en être la chanson la plus ouvertement pop et mémorable, et donc le premier single de facto.

Morceau le plus accessible mais les fans du côté le plus rock du groupe de Sheffield ont dû être méchamment surpris. Car si l’on retrouve dans « Four Out Of Five » un côté familier propre aux compositions d’Alex Turner, il évoque avant tout sa collaboration avec Miles Kane, pour le flamboyant projet des Last Shadow Puppets. Car ce mid tempo majestueux convoque l’esprit des meilleures productions de l’âge d’or de la pop, les sixties et les seventies, convoque les fantômes des Brian Wilson, de Phil Spector, de Serge Gainsbourg voire de l’émérite compositeur français François de Roubaix. On est à des années lumière des fulgurances post-adolescentes des débuts, du classicisme de l’écriture de « Suck It & See » comme du rock testostéroné muté au R n’B à l’efficacité maximale d’« AM ».

Il est à ce sujet fascinant d’assister à la transformation de l’auteur, compositeur et co-producteur de l’ensemble, Alex Turner qui à 32 ans semble avoir déjà vécu plusieurs vies. Le post-ado fan des Strokes qui racontait les aventures plus ou moins glorieuses des copains de son quartier à Sheffield, le jeune homme qui découvre l’étrangeté lyrique et musicale sous la houlette du mentor Josh Homme dans le désert californien, le songwriter classique voulant en découdre avec Scott Walker et David Bowie, la rock star à l’allure d’un jeune Elvis furieusement post-moderne se sont tous effacés devant ce crooner à l’élégance aussi évidente que décadente, qui rappelle celle du Bowie des mid-seventies. Dans sa retraite de Los Angeles, loin de ses racines anglaises, après l’aventure des Last Shadow Puppets lors de laquelle il a vraisemblablement pris énormément de plaisir et qui l’a consacré comme un showman de premier ordre, Alex Turner n’a pas cherché à développer une suite à « AM ». Il s’est mis à travailler solitairement derrière un piano, instrument qu’il ne maîtrise pas vraiment, et a composé des chansons plus lentes et aux structures plus aléatoires. Il les soumit ensuite au guitariste Jamie Cook, lequel après avoir été interloqué par le matériel proposé a senti comment le groupe Arctic Monkeys pouvait s’insérer dans ce projet. Et si l’on peut regretter de ne pas retrouver dans cet album le jeu de batterie explosif de Matt Helders, on constate avec une certaine admiration que les trois fougueux musiciens (les précités et le bassiste Nick O’Malley) la jouent à la Bad Seeds, accompagnateurs chics, talentueux et sachant se faire discrets, se mettre au service de la composition. Les contributions de musiciens habitués à tourner avec Arctic Monkeys et les Last Shadow Puppets ont d’ailleurs été appelés en renfort au studio manoir de la Frette, près de Paris, pour permettre un son très ample, spectorien, sans avoir recours à l’électronique.

La voix d’Alex Turner, très grand interprète, passe avec bonheur du crooning au falsetto et fait de lui un chanteur unique, au timbre immédiatement reconnaissable. Le riff de guitare fuzz doublé par la basse crée un gimmick imparable, le refrain vous cueille sans aucun effort et la montée chromatique d’un demi-ton à la fin de morceau font de « Four Out Of Five » un tube absolu. Il m’obsède littéralement depuis que je l’ai entendu et je n’ai de cesse de le remettre sur la platine. Quant au contenu lyrique, Alex Turner y aborde un thème de science-fiction, créant tel un démiurge un univers, celui d’un bar à tacos sur le roof-top d’un hôtel de luxe situé sur la Mer de la Tranquillité (où l’Homme a fait quelques pas en 1969…) sur la Lune. On comprend dans le texte, bâti comme une publicité Trip Advisor pour cette taqueria appelée « The Information Action Ratio », que la Lune a été colonisée et que depuis l’exode des Terriens elle est en train de se gentrifier… C’est la maquette de l’hôtel qu’on voit sur la pochette de l’album et dans la vidéo kubrickienne de « Four Out Of Five ». C’est bien sûr Alex Turner lui-même qui l’a conçue et montée…

« Take it easy for a little while, Come and stay with us, It’s such an easy flight
Cute new places keep on popping up, Since the Exodus it’s all getting gentrified
The Information Action Ratio is the place to go, Four Stars out of Five
I put a taqueria on the Moon, It got rave reviews, Four Stars out of Five »

Prenez donc un peu de bon temps, venez chez nous, le voyage est si facile
De jolis endroits continuent d’ouvrir, depuis l’exode tout se gentrifie
Le Information Action Ratio est le lieu où il faut aller, quatre étoiles sur cinq
J’ai monté un bar à tacos sur la Lune, les commentaires sont délirants, quatre étoiles sur cinq.

Quant aux futurs singles, ce sera moins évident pour Domino, la maison de disques d’Arctic Monkeys. Si six singles avaient été extraits d’«AM », on peut douter qu’une telle pléthore ne soit extraite de « Tranquility Base Hotel + Casino ». Je parie toutefois que l’incroyable ballade lounge d’ouverture « Star Treatment » et la sobre et réussie « One Point Perspective » feront parfaitement le job !

Live TV chez Jimmy Fallon :