SOTW #143 : Drive, R.E.M.

En 1992, R.E.M. avait un sérieux défi à relever. Moins de deux ans après que leur indie rock eut rencontré le grand public (après dix ans d’efforts continus pour l’infiltrer) avec l’album « Out Of Time » (et les hit singles « Losing My Religion » et « Shiny Happy People »), ils devaient défendre leur place au sommet dans le coeur du public US et mondial. Or, tout un bataillon de jeunes musiciens attifés de chemises de bûcheron et délivrant un rock mal coiffé, énergique et émotionnel était cette année-là à l’assaut des charts. La percée du grunge en Amérique, avec Nirvana et Pearl Jam comme groupes étendards, ringardisait fatalement la folk pop raffinée à guitares carillonnantes et mandolines de R.E.M., même si les aspirations romantiques et mélancoliques de ces derniers trouvaient un écho favorable dans le grunge, Nirvana en tête. Et contre toute attente, et au lieu de se la jouer jeune et vigoureux en damant le pion à ces groupes en jouant plus fort qu’eux (et ils en auraient été tout à fait capables), les quatre membres de R.E.M ont arrêté de tourner et papillonné de studio en studio aux quatre coins des USA (Woodstock, Miami, Atlanta, New Orleans et leur bonne ville d’Athens en Géorgie) pour travailler des chansons qui, pour ne pas être bruyantes, n’étaient certainement pas légères et ne jouaient vraiment pas à courir après le grunge…

« Automatic For The People » est un album grave, crépusculaire et en même temps extrêmement accueillant. R.E.M. parvient à diffuser à travers des chansons mélancoliques une véritable empathie, procure une consolation bienfaisante en parlant de notre mortalité et du temps qui passe. Musicalement, les douze morceaux sont d’une délicatesse extrême tout en gardant une tension, un mordant qui ne leur permettent pas un instant d’être mièvres. Peu de morceaux enlevés donc (le magnifique « Man on the Moon », qui évoque Crazy Horse, est la superbe exception) mais quelles chansons ! Et si tout le monde se souviendra de la superbe ballade soul « Everybody Hurts », si bien chantée par Michael Stipe, je jette mon dévolu sur l’impeccable ouverture d’ « Automatic For The People », « Drive ». Ce lancinant ostinato lancé par la seule guitare acoustique de Peter Buck s’adresse à la jeune génération. « Hey, Kids, where are you? Nobody tells you what to do » (Hey, les kids, où êtes-vous? Personne ne vous a dit quoi faire) déclame Stipe d’une voix sévère pour cacher son admiration devant cette nouvelle scène en colère. La chanson monte en tension et en luxuriance, avec l’introduction des cordes, somptueusement arrangées par l’ex-Led Zeppelin John Paul Jones, et qui n’alourdissent pas l’ensemble, mais au contraire le magnifient. En une nostalgie exempte de tout sentimentalisme et un tantinet ironique, Stipe cite le standard rockabilly « Rock Around The Clock » comme pour figurer le passage du temps, et du témoin entre l’avant que représente R.E.M. et le futur que le grunge représente en 1992. Coup de maître que ce « Drive » (qu’on peut traduire par énergie ou transmission dans ce contexte).

Le clip semble alors limpide. Jouant avec l’esthétique grunge, on y voit Michael Stipe slammer sans fin, avec un regard perdu et en mimant vaguement les paroles, dans un moshpit déchaîné et sous des lumières stroboscopiques. Après ce sommet que fut « Automatic », la carrière de R.E.M déclinera petit à petit tout en restant toujours digne, le groupe produisant quelques très bons disques (« Monster » ou « Up » en font partie), et jouissant d’un succès d’estime toujours égal, avant leur séparation, à priori définitive, en 2011. « Automatic For The People » reste, avant le fameux best-of des singles, le disque de R.E.M. que je réécoute régulièrement. Un oldie vraiment goldie…

Live 2008 :