Le buzz qui entoure un jeune groupe est toujours étonnant. Ainsi, au moment où sort son premier album « Songs Of Praise », la presse écrite, spécialisée ou non, les sites internet plus ou moins branchés et les radios (France Inter en tous cas…) ont jeté leur dévolu sur Shame. Ce jeune groupe originaire du Sud de Londres, vingt ans de moyenne d’âge, semble en effet avoir tout ce qu’il faut pour sortir de l’anonymat où restent confinés tant de jeunes groupes, pourtant parfois talentueux. Alors à quoi ça tient, un tel consensus autour de cinq petites teignes à qui l’on prête la réinvention du rock n’roll, rien moins…
Ces très jeunes types ont commencé très tôt la musique en groupe (Shame existe depuis 2014), devenus bien vite les petits protégés d’un autre gang du quartier, les sulfureux et déjantés Fat White Family en répétant chaque jour après le collège à l’étage de leur QG de Brixton, le Queen’s Head Pub. Comme la FWF, Shame joue un rock post-punk volontiers abrasif et déglingué, mais affectionne aussi les basses insistantes et mélodiques, les batteries « motörik », aussi frénétiques qu’hypnotiques, habille ses riffs de guitare de sons new-wave. Et pose une voix loin d’être parfaite, mais Charlie Steen, chanteur à l’indéniable charisme emporte tout sur son passage. Il reconnait d’ailleurs ses limitations dans le « tube » « One Rizla », pièce la plus pop de ce premier disque en déclarant « My voice ain’t the best you’ve heard » (ma voix n’est pas la meilleure que tu aies entendue). Ajoutons à cela des textes ouvertement politiques critiquant vertement le gouvernement Theresa May, le Brexit comme les dérives européennes (Charlie Steen portait un T shirt « Je suis Calais » lors du passage du groupe à une télé française…). Le tout rappelle des déglingués célestes du rock anglais tels the Fall (on retrouve des accents du grinçant Mark E.Smith dans la voix sarcastique de Steen), Killing Joke (la voix colérique et les amples sons de guitare), Happy Mondays (le côté « fuck off » hédoniste du tout) mais aussi les moments les plus garnements de Blur et du Clash. Les membres du groupe, quant à eux, écoutent de tout mais ont été biberonnés à Bowie et Iggy Pop. On peut faire pire au niveau des références
« Concrete », joli exemple de rage séduisante, excitante et catchy, pop et rauque à la fois, sonne comme un hymne où pourtant Steen répète « And I hope you’re hearing me » (et j’espère que tu m’entends), comme pour dire que malgré tout ils ne sont pas tant sûrs d’eux que ça. « Songs of Praise » est un bon disque qui se laisse très bien écouter, mais c’est sur scène que Shame semble se trouver vraiment dans son élément, tant les prestations du groupe sont intenses, en particulier grâce au jeu de scène viscéral et généreux de Charlie Steen, paraît-il garçon réservé dans le civil. Et si la hype s’empare d’eux en ce moment, on ne peut que regretter de ne pas avoir eu le nez suffisamment fin de ne pas être allé les découvrir en 2017 à Génériq ou aux Eurocks, car ils y ont joué, comme sur bien d’autres scènes françaises. Alors, futur du rock britannique ? Peut-être pas, mais Shame y insuffle avec bonheur et insolence une juvénile vitalité. Et ça fait un bien…
Et pour avoir une idée de leur puissance de feu scénique, les voici en concert avec bon son et prise de vue pour Arte, « Concrete » est à 16:20 :