En 2011, avec « Strange Mercy », St Vincent était une « desperate housewife » accro aux tranquillisants. En 2014, pour accompagner l’album à son nom, elle était la hiératique gourou aux cheveux argent d’une secte bizarre, ou le leader vaguement totalitaire d’une humanité en perte de repères. En 2017, avec « MASSEDUCTION », elle se décline en dominatrix d’hôpital psychiatrique, créature stylisée et fluo à la fois effrayante et séduisante. Cachée derrière ces différents avatars, l’artiste Annie Clark peut tout se permettre tel le Bowie des seventies qui renouvelait à chaque disque son apparence et le discours accompagnant sa musique.
Je vous avais déjà présenté Annie Clark, alias St Vincent avec « Digital Witness » (SOTW #86). Je suis avec la plus grande attention cette auteure-compositrice et brillante guitariste depuis « Strange Mercy » en 2011 et suis resté bouche bée devant « MASSEDUCTION ». Entre-temps, la Texane établie à New York a connu la reconnaissance artistique totale mais aussi les vicissitudes de la presse people, ses romances avec rien moins que Cara Delevingne, puis Kirsten Stewart ayant fait d’elle la cible des paparazzi. En en réflexe de bien légitime protection, Annie Clark a déménagé à Los Angeles (épisodes illustrés par la déchirante ballade « New York », premier single du disque, puis la sarcastique et funky « Los Ageless ») et a décidé d’être la seule metteur en scène de son destin. Bien que secondée par les expertes oreilles de Jack Antonoff (producteur de Lorde et Taylor Swift), Annie Clark fait du pur St Vincent avec « MASSEDUCTION », déroulant une pop bizarre aussi viscérale que cérébrale, mélangeant les séquences rythmiques à la Kraftwerk, les dissonances de guitares façon Robert Fripp et la mélancolie country de la pedal-steel guitar avec une fluidité et la précision dignes d’une production R n’B. La voix d’Annie Clark, toujours remarquable, si expressive et joueuse dans les graves, émouvante et tutoyant l’azur dans les aigus servant de liant entre les différents styles des chansons.
« Pills », troisième single extrait de l’album, commence par un refrain mantra à la mélodie de comptine hyper-accrocheuse qui énumère toutes les pilules nécessaires pour espérer vivre une vie « normale » (« Pills to wake, pills to sleep, pills pills pills everyday of the week, pills to walk, pills to think… ») (des pilules pour rester éveillé, des pilules pour dormir, des pilules des pilules des pilules chaque jour de la semaine, des pilules pour marcher, des pilules pour penser, etc.). Rythmique destructurée et dansante, riff de guitare malin (et surtout pas automatique), chant ironique et théâtral, « Pills » est entêtante, sarcastique et énergique et soudain, au deux-tiers de la chanson, le tempo ralentit, d’amples accords de guitare installent une mélodie douce où Annie Clark croone avec conviction. Les guitares distordues laissent place à un solo de saxophone smooth jazz… Surprenant mais parfaitement cohérent.
Les spectateurs ayant assisté aux premiers concerts du « Fear Of Future Tour » en sont restés baba. Ont-ils assisté à un concert ou à une performance d’art contemporain ? St Vincent balance t-elle un gigantesque fuck off à la face de tous ? Plutôt qu’un concert rock avec groupe, Annie Clark se présente seule sur scène avec sa guitare devant un écran diffusant des projections fluo. Elle joue sur des bandes plutôt qu’accompagnée par un groupe. L’effet est très esthétique mais laisse dubitatif quand à la notion même de « concert ». On peut toutefois être certain que St Vincent est une oeuvre d’art !
Live au Trianon 24/10/17