Le quatrième mur commence fin des années 70, début des années 80, avec les idéaux d’un jeune étudiant parisien militant d’extrême gauche, Georges, et la promesse sacrée qu’il va faire à Samuel, son ami et mentor. Et quelle promesse ! Monter l’Antigone de Jean Anouilh à Beyrouth, théâtre de la guerre civile à cette époque. L’idée est de rassembler des acteurs de toutes les communautés, de les faire jouer ensemble dans un lieu situé sur la ligne de démarcation. Pendant deux heures, les conflits ne seront plus et le théâtre sera un refuge.
Georges va découvrir la guerre, la vraie, celle qui va changer sa vision un peu manichéenne du monde, son être et qui va lui faire remettre en question la banalité des problèmes des hommes vivant dans un pays en paix.
Ce livre est bouleversant de réalisme ! Il pourrait presque s’agir d’un reportage. La description de la guerre (les bombes au phosphore, les cadavres brûlés), des conflits et préjugés qu’elle crée entre les différents acteurs (un Druze ne veut pas jouer le fils d’un Maronite, les acteurs Chiites ne veulent pas être les gardes d’un Maronite de peur d’être considérés comme inférieurs) ; tout semble très juste. Même si la lecture est parfois difficile parce qu’elle reflète une réalité qui l’est aussi, il n’y a pas de sensationnel ou de recherche de l’horreur. Les faits sont décrits tels qu’ils sont.
On s’identifie complètement au personnage principal, on a le sentiment d’y être. On ressent ses doutes lorsque Samuel lui expose le projet. On espère avec lui quand il rencontre les futurs acteurs et trouve le lieu. On lui souffle les arguments nécessaires pour convaincre les réticents. La colère nous envahit aussi quand il rentre en France et ne comprend pas les caprices de sa fille. On rit avec la troupe pendant les répétitions. Et on a peur. Peur de mourir en passant la ligne de démarcation, peur de décevoir Samuel. Car au travers du projet de Samuel et de l’amitié qui le lie à Georges, Le quatrième mur nous montre surtout comment la folle utopie d’une seule personne peut motiver un plus grand nombre et amener les individus à oublier leurs différences, à faire la trêve pendant quelques heures et à s’entendre grâce à un objectif commun. Il nous offre aussi un superbe exemple d’engagement humain et de résistance. Chaque protagoniste doit composer avec celui qu’il considère comme son ennemi au quotidien, la pièce se jouera sur la ligne de démarcation et le choix de l’Antigone d’Anouilh est édifiant. L’œuvre a été écrite pendant la seconde Guerre Mondiale et Antigone tiendra tête aux puissants et se battra seule, au péril de sa vie contre une situation qu’elle trouve injuste.
La lecture de ce livre est réellement bouleversante et va vous remuer car, au final, on évolue et on change notre vision du monde en même temps que Georges.
Quelques mois après avoir lu ce livre, j’ai appris qu’une pièce de théâtre avait été montée. J’ai trouvé la mise en abyme intéressante. La mise en scène est de Julien Bouffier et la pièce était jouée au théâtre Le Tarmac dans le cadre des Traversées du Monde Arabe.
Le metteur en scène a fait des choix intéressants et assez contemporains : très peu de personnages sur scène (quatre), le personnage de Georges devient une femme, des images tournées à Beyrouth entre documentaire et fiction (comme le livre) sont projetées sur un écran, Samuel se transforme en musicien. La pièce est aussi renversante et percutante que le livre et je vous les conseille vivement tous les deux ! Le livre en premier, bien entendu !