Voilà le topo. On avait envie de voir la Palestine. De nos propres yeux. On voulait se faire une idée de ce bordel qu’on nous enseigne en classe, qu’on lit dans les journaux, qu’on voit à la télé. On voulait mettre des images sur ces noms qu’on connaît sans les connaître. Jérusalem, Bethléem, Jéricho, Hébron, Naplouse. Ces noms qui peuvent faire rêver, ou bien faire peur, évoquer la lumière divine, les Orients mythiques, mais aussi les Croisades, les jets de pierre, les murs.
Et l’occasion était trop belle. Notre pote Aël revenait d’un long voyage depuis la Chine. Il était donc dans le coin, et on s’est donné rendez-vous à Jérusalem, en janvier 2017.
5 janvier 2017
Réveil tôt et gros petit-déj. Thé, café, bagels, légumes, fromage et pesto, puis on s’arrache pour la vieille ville. On va commencer par l’esplanade des Mosquées, troisième lieu saint de l’Islam. Normalement interdite aux non-musulmans, on ne peut y accéder que le matin entre 9h et 10h. Les contrôles de sécurité sont plus ou moins draconiens (l’État hébreu est responsable des accès au site) mais toujours malpolis et désagréables. À l’entrée de l’esplanade, on me confisque la Bible que j’avais apportée avec moi pour ce périple. Emmener une Bible à Jérusalem, ça me paraissait une évidence. Feuilleter les Évangiles au pied du Mont des Oliviers, même sans être un assidu de la messe, c’est une perspective qui me plaisait assez. Je n’ai pas le droit de l’emmener là-haut, me dit-on, et je dois la laisser dans un casier. Je n’avais pas songé une seconde à la suspicion que cela susciterait. Je m’exécute et la dépose à côté d’une fiole de Jack Daniels (là j’avoue, le mec avait déconné de vouloir emmener ça là-haut). Les types ouvrent les sacs sans demander, vous sifflent, vous aboient dessus. Très étrange de voir des gamins de dix-sept ou dix-huit ans qui font leur service militaire, des M16 à la main.
Nous voilà sur l’esplanade. C’est magnifique, très aéré, parsemé d’arbres. Al-Aqsa d’un côté, le Dôme du Rocher de l’autre. Du haut de ce rocher, sacré pour les chrétiens et les musulmans, Abraham aurait tenté de sacrifier son fils Isaac, et Mahomet se serait élancé vers le Ciel monté sur son cheval ailé. Aucune tension palpable, à l’exception des patrouilles israéliennes qui quadrillent la zone. On redescend car le créneau de visite pour les non-musulmans touche à sa fin. On sort, je dois retourner récupérer ma Bible. Mais tous les accès sont fermés. Alors je toque à une guitoune et on me tend mon bouquin. Fait notable, le type est aimable. On redescend, direction le Mur des Lamentations, lieu sacré pour les juifs. Je n’avais pas réalisé qu’il était juste en-dessous de l’esplanade des Mosquées. Cette ville est vraiment incroyable. Tant de lieux saints et sacro-saints concentrés sur moins d’un hectare. Des millénaires de querelles pour quelques murs de pierre. C’est là qu’on mesure la puissance des symboles et de la croyance.
Devant le Mur, des bar mitzvahs, peut-être des mariages, des orthodoxes qui se dodelinent en glissant les papiers contenant leurs prières dans les interstices du mur, et le balayeur qui vient les en extirper pour laisser de la place pour les suivants. On contemple les fidèles s’adonner à ces pratiques qui nous semblent si obscures, si opaques, et on songe que celles qui nous sont plus familières, celles des chrétiens, doivent sembler tout aussi obscures à qui ne les connaît pas.
Nous repartons déambuler dans la vieille ville, puis direction la citadelle de David. Très belle vue du haut des remparts. Ensuite, direction le Saint-Sépulcre, le tombeau du Christ. Rien que ça. Je lis une partie de l’Évangile de Saint Matthieu aux copains, la partie sur l’arrestation, la crucifixion et la résurrection de Jésus, le tout avec vue sur le Mont des Oliviers. C’est vraiment très émouvant de lire ce texte en se trouvant là où tout s’est déroulé.
Près du Saint-Sépulcre, on sent à travers les allées du souk les effluves d’encens qui émanent du tombeau sacré gardé par de multiples obédiences chrétiennes : grecs orthodoxes, arméniens, coptes, éthiopiens. Cette église a des allures d’auberge espagnole de la chrétienté. On emprunte une petite porte dérobée et on surprend une cérémonie éthiopienne dans une arrière-salle. Ici la ferveur est internationale. On entre dans l’église, et une pierre est scellée au sol dans l’entrée, vénérée par les Orthodoxes. Il règne une telle ferveur que moi aussi j’ai envie de poser ma main dessus et de m’agenouiller, même si je ne sais pas trop ce que c’est que cette pierre. Il s’avère que c’est sur celle-ci qu’aurait été déposé le corps du Christ après la crucifixion. On poursuit ensuite dans l’église, qui est en fait une espèce de foire du christianisme. Tous les courants sont représentés et ont leur petite chapelle, leurs rites, leurs coutumes. C’est à qui se couchera par terre, s’agenouillera, posera la main, posera la tête. Le tout baigné dans une lumière mystique et enveloppante. Au centre, le tombeau du Christ, auquel on accède par une longue file d’attente en spirale qui fait le tour de l’église. Il est gardé par les coptes, puis par les grecs orthodoxes. Je trouve la figure du gardien du tombeau très noble et très belle. Puis on pénètre dans une toute petite salle, puis dans une autre après une porte très basse : le tombeau du Christ. À peine le temps de regarder et il faut ressortir pour laisser la place aux suivants. Je n’ai quasiment rien pu voir, mais se trouver là, au cœur du cœur de la chrétienté, reste malgré tout un moment très fort.
À la sortie, on décide de s’acheter des noix en guise de déjeuner puis de se trouver un petit café. On quitte la vieille ville pour Jérusalem-Est, arabe. Grâce à Aël, alias Magic Moujik, un vieux Palestinien nous emmène dans un petit café caché et tranquille, avec chicha en sus. On fume, on rigole, on avait besoin de se poser.
Ensuite, direction l’auberge où on commence à préparer les prochains jours, puis on ressort manger un bout. Bon petit restau au milieu du marché couvert de Jérusalem-Ouest (Mahane Yehuda), entre un marchand de kippas et un hurleur de légumes.
Cette ville est vraiment fascinante du point de vue de la délimitation des territoires. À une rue, on passe d’un quartier arabe à un quartier juif, on navigue entre le calme et l’animé, le pavé et le bétonné, le tout divisé par la ligne de tram estampillée Veolia et Alstom qui relie Jérusalem-Ouest aux colonies israéliennes de l’Est.
Bref, un beau bordel.