A l'Est
A l'Est

Chroniques du Levant : La Palestine (janvier 2017) – Jour 3

Voilà le topo. On avait envie de voir la Palestine. De nos propres yeux. On voulait se faire une idée de ce bordel qu’on nous enseigne en classe, qu’on lit dans les journaux, qu’on voit à la télé. On voulait mettre des images sur ces noms qu’on connaît sans les connaître. Jérusalem, Bethléem, Jéricho, Hébron, Naplouse. Ces noms qui peuvent faire rêver, ou bien faire peur, évoquer la lumière divine, les Orients mythiques, mais aussi les Croisades, les jets de pierre, les murs.
Et l’occasion était trop belle. Notre pote Aël revenait d’un long voyage depuis la Chine. Il était donc dans le coin, et on s’est donné rendez-vous à Jérusalem, en janvier 2017.

6 janvier 2017

Lever 8h. Direction les remparts. La partie nord est fermée aujourd’hui, ce ne sera donc que le sud. Du haut des remparts, magnifique vue sur Jérusalem, mais aussi sur des terrains vagues dont on peine à déterminer l’appartenance et l’utilité. Du haut des murailles, on distingue clairement des drapeaux israéliens qui flottent en plein Jérusalem-Est, comme des ilots destinés à devenir des quartiers par un lent processus de grignotage.

Le ciel est bleu, il fait bon. On est vendredi : les fidèles de toutes les fois monothéistes vont bientôt être de sortie pour adorer leur dieu respectif.

Une fois les remparts terminés, on erre autour de la vieille ville, et on commence à voir quelques Palestiniens qui se rendent à pied à Al-Aqsa depuis les quartiers périphériques. Comme nous, plus que nous, ils seraient soumis à des contrôles s’ils s’avisaient de se rendre sur l’Esplanade des Mosquées en empruntant la passerelle qui surplombe le Mur des Lamentations. Alors pour éviter ces contrôles, ils préfèrent faire le tour en empruntant les rues étroites de la vieille ville. On aperçoit bientôt des dizaines, des centaines de Palestiniens qui affluent paisiblement dans les ruelles et qui évitent les barrages de police, créant ainsi cette énorme transhumance de contournement de la ségrégation qu’ils doivent reproduire chaque semaine. Chacun son lieu saint.

Alors on déambule avec eux, et on se sent bien dans ce torrent de vie, de vie qui continue, et qui vaque à ses prières vaille que vaille.

On emprunte ensuite la Via Dolorosa, qui a vu le Christ accomplir son chemin de croix, depuis les geôles romaines jusqu’au Mont des Oliviers. Les stations se succèdent, l’arc de l’Ecce Homo, le fouet, les chutes, et on lit les Évangiles pour se plonger dans l’événement. On attaque l’ascension du Mont des Oliviers et des cimetières qui le recouvrent, placés ici dans l’espoir d’expédier leurs occupants le plus vite possible dans le royaume de Dieu quand le Messie pointerait son nez. Ça grimpe sec. On monte des marches, et d’en haut, un panorama magnifique de l’Esplanade des Mosquées, de son Dôme du Rocher, et des centaines de fidèles qui en occupent les pavés. On entend l’appel à la prière qui résonne, le sermon d’Al-Aqsa. Depuis ce point de vue, on se remet un coup d’Évangile pour rester dans l’ambiance.

Puis c’est la redescente, à grands coups de vannes. On imagine nos comportements suspicieux éveiller l’attention des sentinelles israéliennes, qui s’exclameraient « Hey, you! ».
Petit crochet par l’église Sainte-Anne. C’est l’occasion de rendre hommage à Jacques Chirac et son fameux You want me to go back to my plane?
Dans l’acoustique phénoménale de cette église, une guide entame un chant. Les notes se mêlent les unes aux autres à mesure qu’elle chante pour créer une épaisse nappe sonore, envoûtante et mystique. À la sortie de l’église, l’appel à la prière nous cueille à nouveau, sous un rayon de soleil, en faisant vibrer les pierres et résonner les voûtes. On se laisse emporter par ce chant puissant, tout droit sorti des collines, et on ferme les yeux.

On se trouve ensuite un petit rade palestinien pour boire un thé et grignoter quelques fruits secs. Aël tape la discute, les gens sont accueillants, serviables. On file ensuite se poser près de la porte de Damas, Bab al ‘amud, principal point d’entrée dans la partie musulmane de la vieille ville, pour regarder les flots de fidèles s’écouler. C’est bientôt le coucher du soleil et donc le début du shabbat pour les juifs. On voit débouler des dizaines de juifs orthodoxes, toques en fourrure sur la tête, chapeaux, papillotes, collants, et on reste ébahis par le contraste entre toutes les différentes populations. Quelles pratiques opaques pour nous ! On a l’impression de voyager dans le temps, quand on voit certaines tenues. On s’interroge sur le Talmud, les ultra-orthodoxes, les subdivisions tellement radicales qu’elles sont antisionistes. Tout cela nous sidère. On discute avec un vieux Palestinien et son fils, ou son petit-fils.

On plonge à nouveau dans la vieille ville, toujours côté arabe, pour suivre notre deuxième transhumance de la journée. Celle des juifs orthodoxes qui déambulent tout de noir vêtus jusqu’au Mur des Lamentations. Eux par contre filent tout droit. Pas de détour à faire, pas de police à craindre.

On se perd tranquillement dans les ruelles désormais désertes, et on retourne à l’hôtel. On se dégote ensuite un petit restau ouvert, où on était allés boire un verre hier après le repas à Mehane Yehuda, et on se commande trois burgers et trois bières. Les rues sont désertes en ce soir de shabbat, on se croirait de retour de soirée à 4h du mat alors qu’il est 18h. Puis après leur dîner, les gens semblent ressortir, réanimant un peu les rues.

C’est décidément toujours un sacré bordel. Mais qu’est-ce que c’est beau.