Voilà le topo. On avait envie de voir la Palestine. De nos propres yeux. On voulait se faire une idée de ce bordel qu’on nous enseigne en classe, qu’on lit dans les journaux, qu’on voit à la télé. On voulait mettre des images sur ces noms qu’on connaît sans les connaître. Jérusalem, Bethléem, Jéricho, Hébron, Naplouse. Ces noms qui peuvent faire rêver, ou bien faire peur, évoquer la lumière divine, les Orients mythiques, mais aussi les Croisades, les jets de pierre, les murs.
Et l’occasion était trop belle. Notre pote Aël revenait d’un long voyage depuis la Chine. Il était donc dans le coin, et on s’est donné rendez-vous à Jérusalem, en janvier 2017.
13 janvier 2017
Une bonne journée frontières nous attend. Le programme prévu : service jusqu’à Jéricho sans passer par la case Khamis, service jusqu’à la frontière, passage de frontière israélienne avec fouille rectale, paiement des 177 shekels (50 €) de taxe de sortie du territoire israélien, re-bus jusqu’à la frontière jordanienne, re-bus jusqu’à Amman, et bière.
Alors on se met en route, après avoir dit au revoir à cette sympathique auberge. Passage au Cann Expresso pour petit-dèj’. On espère l’omelette. On arrive trop tôt, et la serveuse n’est pas là. Après avoir dissuadé le jeune stagiaire zélé de l’appeler pour la faire rappliquer plus tôt, on se contente de sympathiques pâtisseries et de trois latte.
Les types des services nous annoncent d’abord qu’il n’y a plus de bus jusqu’à la frontière pour aujourd’hui. On croit d’abord qu’ils nous annoncent que la frontière est fermée, mais il y a malentendu, elle est bien ouverte. Aël nous négocie un service jusqu’à la frontière, ce qui nous évite l’étape Jéricho.
Une fois arrivés à ce qu’on pense être la frontière, trois taxis nous tombent dessus pour nous proposer des tarifs criminels pour nous acheminer jusqu’au poste-frontière, qui est à quelques kilomètres. Première banane du trajet. Les tarifs annoncés sont ahurissants, 150 shekels (35 €) pour 2 km. Aël en obtient 70, après les avoir enguirlandés dans son plus bel arabe. Le chauffeur, qui sait qu’on sait qu’il nous met une banane, se fait tout petit.
Arrivée au poste-frontière tant redouté. On a échafaudé tous les scénarios : on colle à la version officielle, Tel-Aviv et compagnie, on a planqué les cartes de visites qu’on nous a données, vidé nos téléphones, etc. Mais de toute façon, nos sacs sont pleins de keffiehs d’Hébron et de savons de Naplouse, donc on est grillés s’ils nous fouillent. Ils nous font non seulement chier pour rentrer, mais aussi pour sortir. Quelle plaie, putain.
Au final, personne ne demande rien, on paye nos 177 shekels et on récupère le petit billet rose qui nous permet de sortir de ce beau pays accueillant. Dans le poste-frontière, des tonnes de Palestiniens font la queue pour passer en Jordanie, soit pour voyager car pas d’aéroports en Cisjordanie, soit pour effectuer certaines démarches administratives.
À la sortie, nouvelle banane : le bus ce qui nous fait traverser le no man’s land militarisé entre les deux frontières. Si on paye en shekels, ce qui est notre cas, la compagnie de bus jordanienne applique son propre taux de change fixe, ce qui nous fait perdre des sous.
À la frontière jordanienne, changement d’ambiance, flics souriants, pas de pression. Peco qui flippait pour obtenir son visa avec son Jordan Pass entre sans problème. Au dernier moment, on nous demande de remplir des formulaires pour que nos passeports ne soient pas tamponnés (une habitude dans la région). Pourquoi ? Parce que le tampon d’entrée sur le territoire jordanien porterait la mention du pont Allenby, qui est une porte d’entrée depuis Israël, ce qui voudrait dire qu’on a séjourné en Israël. Et équivaudrait à un tampon israélien de notre passeport. Donc, problème potentiel pour visiter certains pays arabes.
On récupère nos bagages, qu’on avait dû laisser avant le contrôle des passeports. Ils sont dégueulasses, le mien est plein d’une sorte de cambouis, et sont balancés au bout d’un tapis roulant qui dégueule de valises. La zone est bondée, des familles avec d’énormes valises, des mamas voilées, des enfants qui piaillent. C’est le bordel mais on se sent mieux que chez les zozos d’en face.
Une fois sortis, nouvelle tentative de banane avec le chauffeur du service qui nous réclame 5 JD (prononcer djid’di, la monnaie jordanienne) en sus pour les bagages. On refuse, sachant que personne d’autre ne les a payés. On obtient gain de cause, et un type sangle nos valoches sur le toit du bus. À l’ancienne. Après notre refus de payer, on s’attend à ce que nos sacs soient balancés sur le tarmac, mais que nenni.
Dans le bus, un jeune type me tape la discute en arabe, ce qui me permet de pratiquer. C’est poussif, mais on se comprend. Il me dit qu’il va faire le pèlerinage à la Mecque. Il me montre des photos de sa voiture.
On traverse une énième zone militarisée et on entre dans Amman après une heure de route.
Nouveau taxi jusqu’à notre hôtel, qui n’est pas exactement un taxi mais un service. Alors il nous dépose quelque part dans Wasat el Balad.
Amman est très très étendue, s’est beaucoup développée ces dernières années. Elle est construite sur des montagnes, ce qui lui donne un petit côté Porto, mais arabe. On finit par trouver notre hôtel, le Hamoudeh, situé dans une rue pourrave du centre. Là, nouvelle tentative de banane. On en a ras le bol, surtout Aël qui est au charbon sur tous les coups pour la négoce. Le type nous dit que pour avoir le chauffage, c’est 5 JD (7 €) par nuit en plus du prix de la chambre. On tombe des nues et on peine à comprendre. C’est l’hiver, on meule, et on doit payer en plus pour avoir le chauffage ? Les chambres sont données sans chauffage ? Bref, au final, ont ré-obtient gain de cause et on monte dans notre piaule.
On est éclatés de notre passage de frontière. On a dépensé 250 € pour passer cette putain de frontière ! Entre les services, les taxis, les bus, les taxes de sortie, d’entrée, de chauffage, on a dû cracher 250 boules. On a l’impression de s’être pris banane sur banane, et ce n’est pas qu’une impression.
Après une petite sieste, on sort retirer les sous et on passe voir S, le pote du père d’Aël. Type ultra sympa, accueillant, qui a toujours un énorme sourire et une clope à la bouche. On sort ensuite bouffer un shawarma chébran sur Rainbow Street puis boire un pichet d’Amstel sans bulles dans un autre endroit branchouille. On est bien.
Sur le retour, les rues sont vides, limite glauques, car on est vendredi et tout est fermé. Et on rigole du fait que cette journée n’aura été qu’une énorme escroquerie du début à la fin.