Voilà le topo. On avait envie de voir la Palestine. De nos propres yeux. On voulait se faire une idée de ce bordel qu’on nous enseigne en classe, qu’on lit dans les journaux, qu’on voit à la télé. On voulait mettre des images sur ces noms qu’on connaît sans les connaître. Jérusalem, Bethléem, Jéricho, Hébron, Naplouse. Ces noms qui peuvent faire rêver, ou bien faire peur, évoquer la lumière divine, les Orients mythiques, mais aussi les Croisades, les jets de pierre, les murs.
Et l’occasion était trop belle. Notre pote Aël revenait d’un long voyage depuis la Chine. Il était donc dans le coin, et on s’est donné rendez-vous à Jérusalem, en janvier 2017.
4 janvier 2017
Départ pour la terre promise. Orly, Transavia. Premières craintes quant au passage de la douane. Comme on ne peut pas ouvertement déclarer qu’on souhaite se rendre dans les territoires palestiniens, puisqu’on risquerait de se voir refuser l’entrée en Israël, on s’est monté un petit micmac. Un genre d’Argo miniature. On répète donc notre petit scénario.
Dans l’avion, une fois l’appareil stabilisé, on voit un type se diriger vers nous. C’est un juif orthodoxe, peut-être un rabbin. Il nous tend deux objets en forme de lampes frontales, reliés à des lanières de cuir. Sans dire un mot. On le regarde, il nous regarde, on le regarde, on regarde les objets, il nous regarde. Puis il nous fait, « Vous n’êtes pas juifs ? » Eh non, raté. Après cette scène assez cocasse, je lui demande ce qu’étaient ces objets. Il m’apprend que ce sont des téfilines, ou phylactères, qui s’attachent sur le sommet de la tête et sont censés donner du courage avant, par exemple, d’attaquer la journée, ou de prendre l’avion. Ils contiennent des prières gravées à l’intérieur. Et il termine en me disant, « On ne part pas faire la guerre sans armes. »
Arrivée à Tel Aviv. Comme prévu, nos visas syriens ne déclenchent pas l’euphorie. À la guitoune de l’immigration, un type m’indique du doigt une petite salle d’attente dans laquelle je devrai attendre mon tour aux côtés d’autres pestiférés du visa. Peco me rejoint. Commence l’angoissante attente : vont-ils nous refouler ? Nous interroger ? Quel serait le motif invoqué ? Nos compagnons d’infortune se voient offrir des sandwiches. Cela veut donc dire qu’ils attendent depuis un bon moment. Le temps passe, on discute pour feindre la détente. À côté de nous, deux filles de nationalité inconnue se voient remettre un formulaire sur lequel on lorgne pour tenter d’en savoir plus. La sentence est sans appel : refus d’entrée sur le territoire. Motif : prévention contre l’immigration illégale. Il est donc possible de se faire refouler. Puis on appelle nos noms. Je me lève, on nous remet nos passeports. On est libres. On se croit tirés d’affaire, on desserre un peu les miches, et là, dernière question, quand on a baissé la garde : What is ze purpose of your travel? On s’en sort avec notre boniment, puis on prend la poudre d’escampette.
Jamais je n’avais eu d’accueil aussi froid, désagréable, avec des douaniers tous plus infects les uns que les autres. Les gars n’avaient pas sorti les banderoles Bienvenue. Alors, trop heureux de notre victoire, on sort en dansant les claquettes, direction les sherouts. Ces minibus sont censés nous acheminer jusqu’à Jérusalem pour une poignée de shekels. On nous en propose un pour 61 (environ 15€), on saute sur l’occasion. La pression retombe, on souffle, on déconne, et on se demande comment Aël s’en est sorti avec son visa iranien et son background douteux (il a vécu en Syrie). Il nous informe par texto qu’il est à Jérusalem depuis une heure et demie, soit plus de six heures après l’arrivée de son avion. Il a dû passer un sale quart d’heure. Enfin, plutôt des. On apprendra plus tard qu’il a eu droit à deux interrogatoires, avec dossier sur son pédigrée, sa famille, notre pote vivant au Caire (d’où il arrivait) etc. Les mecs voulaient tout savoir. Il a finalement réussi à s’en tirer après quatre heures d’interrogatoire.
Nous voici à Jérusalem, ville trois fois millénaire, où nous retrouvons notre ami. Passage éclair par l’auberge, puis on ressort manger un morceau et boire un coup. On atterrit dans un rade qui sert des falafels et du houmous. De ce côté-ci, à l’ouest, la ville ressemble à Barcelone ou à n’importe quelle ville méditerranéenne ou européenne. Tout est propre, au carré, avec tram et pavés autobloquants en sus. On pourrait vraiment être n’importe où en Europe. Le type du bar est sympa et ressemble à Adrian Brody. Il nous sert d’excellentes pitas falafels et quelques bières. Bien contents de nous retrouver, on écluse et on rentre. Demain, on prend d’assaut la ville sainte.