Malgré l’absence de tournées, de scènes et de festivals, le petit monde de la pédale fuzz ne s’est pas arrêter de tourner. Sans surprises, cette liste non-exhaustive des disques de rock les plus marquants de l’année nous emmène aux quatre coins du globe à la recherche de qui s’est fait de mieux ces derniers mois. Voici donc de quoi voyager auditivement en ces temps de « presque » confinement. Quoiqu’il arrive, une chose reste sûre: le rock n’roll est un art qui se joue avec des guitares et à la fin ce sont les Anglais qui gagnent. A vos platines.
10 – « The New Abnormal » | The Strokes | RCA
Le pari était audacieux. Revenir sur le devant de la scène avec un album solide vingt ans après avoir constitué ce qui reste aujourd’hui la plus grosse hype de ce début de XXIe siècle. Il faut dire que les dernières tentatives de New Yorkais aux jeans cigarettes n’étaient pas vraiment à la hauteur. Puis vint le gimmick mécanique et si reconnaissable de la génialissime « The Adults Are Talking ». Ils l’ont fait. Les Strokes ont renoué avec ce qu’ils sont capables de faire de meilleur au moment où on les attendaient le moins. Tout au long de ce sixième opus, le quintet New York emmené par un sublime Julian Casablancas régale. Les guitares mélancoliques et saccadées des excellents Nick Valensi et Albert Hammond Jr tricotent des guirlandes de guitare toujours aussi somptueuses autour des parties de basse chaloupées de Nikolai Fraiture. Frontman charismatique au style inimitable, véritable idole d’une génération de baby rockers nourris au garage rock du début des années 2000, Casablancas a rarement aussi bien chanté (« Eternal Summer », « Ode To The Mets »). Ultra plaisant.
Pour les fans du Velvet Underground, de Converse All Stars et des New York Mets
Ça sort d’où ? New York, NY, USA
Pépite :
Immanquable :
9 – « Ultra Mono » | IDLES | Partisan Records
On avait quitté IDLES sur un très solide deuxième album et une tournée musclée qui les avait vu mettre le feu à l’Epicerie Moderne de Lyon à l’automne 2018. Le gang de Bristol a encore tapé très fort. Cette troisième galette réinvesti les thèmes de prédilection de la bande à Joe Talbot: à savoir l’Angleterre xénophobe post-Brexit, le consumérisme destructeur ambiant; le quotidien difficile des minorités méprisées, dressant ainsi un portait des plus sombres d’une société britannique profondément malade. Toujours aussi révolté, l’ancien travailleur social au phrasé agressif crache son venin avec extrême justesse (« Mr Motivator », « Grounds ») pendant que le reste de la troupe martèle un rock noisy, solide et viscéral (« A Hymn », « Reigns »). Enregistré aux mythiques studios Abbey Road de Londres, « Ultra Mono » consacre encore un peu plus IDLES. Groupe phare de ces dernières années, le quintet a encore de beaux jours devant lui.
Pour les fans de rock bodybuildé, de pamphlets politiques et du Labour party
Ca sort d’où ? Bristol, UK
Pépite :
Immanquable :
8 – « 925 » | Sorry | Domino
Alors que la moitié des sujets de la Couronne s’extasie sur la vague post-punk musclé qui déferle outre-Manche, le duo londonien Sorry surprend par sa pop pas banale et ce premier album inclassable. Parfois jazzy, souvent mélodieux et rarement policé, « 925 » fait figure de véritable ovni dans l’actuel paysage musical britannique. Asha Lorenz et Bryan O’Bryen partagent le micro avec une certaine élégance sur des comptines électriques qui ne semblent jamais réellement décoller (« In Unison », « Heather »), un peu comme si The Kills avaient abandonné le blues poisseux le temps d’un album expérimental aux accents pops. Patchwork d’anciens singles détonants (la puissante « Right Round The Clock » et son riff de guitare entêtant) et de pépites psychédéliques carrément brumeuses (« Snakes », « Rockn’Roll Star » et son saxophone vrombissant), « 925 »s’invitera sans problème sur vos platines un dimanche de gueule de bois douloureuse.
Pour les fans de pop loufoque, de mélodies biscornues et de Nick Cave and the Bad Seeds.
Ca sort d’où ? Londres, UK
Pépite :
Immanquable :
7 – « Sideways to New Italy » | Rolling Blackouts Coastal Fever | Sub Pop
L’Australie continue de fournir parmi les groupes les plus cools du monde. Rolling Blackouts Coastal Fever ne fait pas exception. Cette seconde galette des Aussies constitue une véritable invitation au roadtrip avec ses comptines indie à guitares sans prétention. « Sideways to New Italy » reprend là où « Hope Downs » nous avait laissés deux ans auparavant. Les guirlandes de guitares chargées de reverb du quintet de Melbourne s’entremêlent avec toujours autant d’allure sur un chant planant. Les choeurs aériens (« Cars in Space ») donnent une ambiance estivale à cet album fort sympathique. Sorte de réincarnation moderne des Byrds, Rolling Blackouts Coastal Fever (qui joue d’ailleurs sur les mêmes Gretsch demi-caisses que leurs idoles des sixties!) nous a concocté les video clips les plus sympas de l’année (« The Only One ») ainsi que le morceau le plus entêtant de ces douze derniers mois: l’hymne pop ensoleillé « She’s There ».
Pour les fans de pop à guitares, d’amplis Fender et de roadtrip entre potes.
Ca sort d’où ? Melbourne, Australie
Pépite :
Immanquable :
6 – « Mordechai » | Khruangbin | Dead Oceans
Après une collaboration réussie avec Leon Bridges sur l’EP « Texas Sun », Khruangbin s’est cette fois paré du chant de sa sublissime bassiste Laura Lee sur cet LP tout frais. Toujours aussi perché, le trio Américain poursuit ses expérimentations sonores en mêlant rock psychédélique des années 1970’s, délires funk thaïlandais et envolées instrumentales progressives. Véritable invitation au voyage, « Mordechai » se moque bien des genres dans une ambiance quasi-cinématographique. En effet, ce cinquième LP des texans adopte des accents carrément dansants sur la funky « Time You and I », latinos avec l’ensorcelante « Pelota », voire soul music sur la très planante « One To Remember ». Sous sa ravissante pochette imaginée par Lee herself et l’artiste Nate Utesch, « Mordechai » devrait ravir les aficionados de rock stratosphérique instrumental et les nostalgiques d’envolées de six cordes bourrées d’effets en tout genre.
Pour les fans du Pink Floyd d’Echoes, de cinéma asiatique et latino de série B et de Krautrock
Ca sort d’où ? Austin, Texas, USA
Pépite :
Immanquable :
5 – « S/T » | Working Men’s Club | Heavenly / Pias
Logée entre Manchester, Leeds et Sheffield, Todmorden est une bourgade tranquille de 15,000 âmes du Nord de l’Angleterre. La géographie aide parfois à décortiquer les phénomènes musicaux. Il est donc pas surprenant que ce vivier historique de la musique britannique ait engendré ce projet electro-rock complétement réussi. En effet, il est souvent difficile d’échapper à son terroir et à son héritage. Transcendé par des synthés loufoques, des guitares noyées d’écho et des beats bien pensés (« John Cooper Clarke »), le son de Working Men’s Club (le nom le plus cool du monde, avouons-le) replonge l’auditeur dans la vague Madchester. Ou comment se croire téléportés sur le dancefloor du mythique club mancunien l’Hacienda à la fin des eighties. A dix-neuf ans, Syd Minski-Sargeant se fait la voix d’une jeunesse british au quotidien rempli d’ennui et de frustration, et par la même occasion, transmet une irrésistible envie de faire la fête (« Valleys »). Quand les machines se mettent au service du rock n’roll, on en redemande.
Pour les fans de Manchester United, d’electro rock et de rave party.
Ca sort d’où ? Todmorden, UK
Pépite :
Immanquable :
4 – « Ultimate Success Today » | Protomartyr | Domino
Sûrement pas l’album le plus joyeux de l’année. Qu’on se le dise, Protomartyr ne fait pas vraiment dans la gaieté franche et communicative. Post-punk habité, basse lourde qui ronronne, guitares noisy fracassantes, le combo américain pose une atmosphère suffocante et apocalyptique renforcée par le chant monolythique du génial Joe Casey. Ecorché vif sans concessions, le natif de Detroit à la voix caverneuse régale comme jamais. Ce cinquième opus du gang du Motor City culmine sur la très sombre « The Aphorist » ou la stoogienne « Modern Business Hymn » et son garage rock décapant. Mention très spéciale pour « Tranquilizer » et ses envolées de saxophone des plus violentes, sorte de comptine vaudou mêlant gimmicks pesants répétés à l’infini et brutalité extrême. Ténébreux, dépressif et abrasif, « Ultimate Success Today » s’impose comme la bande son la plus fidèle d’une Amérique en pleine crise existentielle. A ne pas mettre entre toutes les mains.
Pour les fans de films noirs, de Bauhaus et de post-punk à la Wire.
Ca sort d’où ? Detroit, Michigan, USA
Pépite :
Immanquable :
3 – « A Hero’s Death » | Fontaines DC | Rough Trade, Partisan Records
Après un premier album complétement dantesque, Fontaines DC a remis ça de plus belle en 2020 avec une opus sombre et introspectif aux accents post-punk assumés. Avec sa gueule de poète irlandais débraillé, sorte de réincarnation juvénile de Ian Curtis et de Liam Gallagher, Grian Chatten beugle sa poésie avec cette touche nonchalante propre aux groupes d’outre-Manche. Entre chaque averses de guitares dopées de reverb, le chanteur au visage encore presque adolescent déverse son spleen avec brio (« Televised Mind », « A Hero’s Death ») dans un anglais qui sent bon les ruelles moroses de Dublin. Les morceaux s’enchainent avec urgence tout en gardant cette ambiance brumeuse (« I Don’t Belong ») et électrique (« A Lucid Dream », l’excellente « Living in America ») qui a le pouvoir de pousser l’auditeur à enchainer les pintes le regard vitreux un après-midi maussade assis au comptoir d’un pub désert.
Pour les fans de whisky tourbé, de The Fall et de James Joyce.
Ca sort d’où ? Dublin, Irlande
Pépite :
Immanquable :
2 – « Nobody Lives Here Anymore » | Cut Worms | Jagjaguwar
A l’écoute de ce deuxième album de Cut Worms, on se dit qu’il n’y a pas grand chose de la grisaille de Brooklyn dans ces ballades folk qui sentent bon l’Amérique hippie du début des 1970’s, Pas étonnant, Max Clarke est originaire de l’Ohio, un état plutôt champêtre entre les Appalaches et les Grands Lacs. Nourri à l’Americana, au country rock des pionniers et au folklore rural, le singer-songwriter se distingue par son écriture sophistiquée (« Sold My Soul », « Castle In The Clouds ») et ses mélodies d’excellente facture (« I Don’t Want To Say Goodbye »). Au son des somptueuses « Last Words To A Refugee » et « Always On My Mind », on se dit que George Harrison doit probablement valider les choix artistiques de Cut Worms. Arrangements léchés, comptines pastorales, textes engagés, Father John Misty n’a plus qu’a bien se tenir, on vient de lui trouver un rival de taille (sans la frime, évidemment).
Pour les fans d’Americana, de Crosby Stills Nash & Young et de « la Petite Maison dans la Prairie ».
Ca sort d’où ? Brooklyn, New York, USA
Pépite :
Immanquable :
1 – « S/T » | Bad Nerves | Killing Moon
Cela faisait quelques temps que les londoniens de Bad Nerves arrosaient la toile de singles croustillants, façon punk anglais juvénile extrêmement accrocheur. Voici désormais l’album, avec une ouverture électrique des plus inoubliables (« Can’t Be Mine ») et une déferlante de missiles punk de très très haut vol (« Mad Mind », « Palace »). La recette n’est pas nouvelle mais elle fonctionne à merveille: guitares acérées, refrains sucrés scandés à faire chavirer tout un pub un soir de beuverie, et une urgence adolescente qui rappelle parfois le brillantissime Jay Reatard des débuts. Sans fioritures, cette galette est une mine d’or de tubes ravageurs aux tempos ultra-rapides (« New Shapes », « Dreaming ») et à la fraicheur (« Baby Drummer ») plus qu’appréciable en ces temps difficiles. Une véritable bombe de power pop hargneuse made in UK qui fait le grand écart entre The Damned et Radioactivity. Ultra puissant.
Pour les fans de punk mélo, des Clash et de garage rock.
Ca sort d’où ? Londres, UK
Pépite :
Immanquable :