Dans les glorieuses seventies, le show télévisé Soul Train eut une importance capitale dans la popularité de la musique noire, soul et funk sur les masses américaines. Créé par l’animateur et producteur Don Cornelius en 1971 et destiné à un public noir, ce Top of the Pops spécialisé n’a pas tardé à passionner le grand public en entier, tant la musique diffusée était bonne. Le principe était simple, dans un décor clinquant façon Las Vegas, les chanteurs et chanteuses très majoritairement afro-américains venaient interpréter leur tube en play-back, devant des danseurs clairement embauchés pour leur look comme pour leur compétence à exécuter les pas funky à la mode. Arrêté en 2005, Soul Train a grandement contribué au succès de tous les mouvements de musique black américains, soul, rhythm n’blues, funk et hip-hop.
Il était donc normal et justifié que Lyn Collins vienne y présenter son « Rock Me Again & Again & Again & Again & Again & Again (6 Times) » en 1974. L’une des plus grandes voix funk des 70’s, la Texane Lyn Collins demeure toutefois injustement inconnue du grand public. Comme bien des vocalistes de son calibre, elle a commencé sa carrière comme choriste, passant quelques années au service de James Brown, qui comme chacun sait était d’une exigence absolue envers ses musiciens. Et même si le Godfather of Soul ne laissait guère la lumière s’attarder sur ses accompagnateurs, il permit tout de même à Lyn Collins à lancer sa carrière solo sur son label discographique People Records.
Entourée par les célèbres JB’s (dont le saxophoniste Maceo Parker et le tromboniste Fred Wesley), les excellents musiciens de James Brown, Lyn Collins sort un premier album en 1972 dont est issu le tube « Think (about it) », une tuerie de funk dur sous forme de jam session et qui, grâce à ses breaks insensés, doit être le morceau qui a été le plus samplé de l’histoire du hip hop (comme prouvé dans la très bonne série « The Get Down », où l’apprenti DJ fait ses armes de pass pass sur ce titre). « Rock Me Again », son second succès est issu du second et dernier album de Collins. L’ambiance reste dans le hard funk popularisé par son patron à l’époque (type « Hot Pants » et bien sûr « (Get Up I Feel Like A) Sex Machine »), rythmique précise et enlevée, cocottes de guitare et dégoulinades de wah-wah, riffs de cuivres chirurgicaux. Comme dans bien des chansons de James Brown, « Rock Me Again » commence par un pont, qu’on retrouvera à la fin du morceau. Entre les deux, une hypnotique mélodie, répétitive pour laisser dérouler ce groove qui tue (formule magique qui a interpellé David Bowie et dont il s’est largement inspiré pour coucher sur bande son « Fame »).La voix rauque de Lyn Collins, si elle est évidemment puissante, école Gospel oblige, ne cherche pas à faire joli. Car bien sûr, « Rock Me Again » ne parle que d’une seule chose, et c’est de sexe. Et il semble très clair qu’elle ne se satisfera pas d’une prestation express! Et comme la danse se rapproche beaucoup de l’acte sexuel, nulle surprise que « Rock Me Again » parvienne a propulser n’importe qui sur la piste…
Après ce succès, la carrière de Lyn Collins n’a plus tutoyé les sommets. Une reconversion en diva disco à la fin des 70’s, des tournées en Europe, où elle était bien mieux considérée que chez elle dans les 90’s, la chanteuse disparait en 2005 à 56 ans à peine. Elle aurait mérité bien mieux…
Alors évidemment, cette chanson est bien plus obscure que quelque tube de James Brown que ce soit. Mais depuis que je l’ai redécouverte par hasard cet été en Espagne (elle était diffusée avant un concert), « Rock Me Again » n’a cessé de me hanter. Quand je pense que je l’avais connue via la reprise incongrue du groupe electro pop anglais, the Human League (sur « Hysteria », en 1984)… Mais il est vrai que les Anglais, grands fans de musique noire devant l’éternel, auront été les fans les plus enthousiastes et les plus fidèles de cette piquante chanteuse.