Voilà le topo. On avait envie de voir la Palestine. De nos propres yeux. On voulait se faire une idée de ce bordel qu’on nous enseigne en classe, qu’on lit dans les journaux, qu’on voit à la télé. On voulait mettre des images sur ces noms qu’on connaît sans les connaître. Jérusalem, Bethléem, Jéricho, Hébron, Naplouse. Ces noms qui peuvent faire rêver, ou bien faire peur, évoquer la lumière divine, les Orients mythiques, mais aussi les Croisades, les jets de pierre, les murs.
Et l’occasion était trop belle. Notre pote Aël revenait d’un long voyage depuis la Chine. Il était donc dans le coin, et on s’est donné rendez-vous à Jérusalem, en janvier 2017.
10 janvier 2017
Aujourd’hui c’est direction Ramallah. Taxi puis service, avec arrêt à la gare routière. On va poser nos affaires à l’auberge de jeunesse, endroit très sympa et très militant où de charmants Européens nous accueillent chaleureusement. Ensuite on file directement au consulat jordanien de Ramallah où un type chauve aux sourcils rasés nous jure ses grands dieux qu’on n’a pas besoin de visa pour passer en Jordanie. On dirait un audacieux mélange entre le génie d’Aladdin, le goûteur de Cléopâtre et un charmeur de serpent : I sweaaaar to the almighty God that you won’t have any problem.
Après moult allers-retours pour bien s’assurer qu’on n’aurait pas de problème, on file au Grand Park hôtel pour se délecter d’un café à quatre euros. Ambiance cuir et moquettes, gens importants, ça fume à l’intérieur. On partage ensuite un taxi avec un banquier stagiaire. Le chauffeur, qui ressemble à Jhon Rachid nous dépose devant Eiffel Sweets, haut-lieu de la kenafeh ramaliote.
Là, deux vieux communistes palestiniens nous tapent la discute en nous expliquant leur désamour pour Yasser Arafat. L’un d’eux parle très bien français, a vécu à Rennes et est propriétaire du rade. L’autre a fait deux ans de taule durant la première intifada. Des mecs à l’ancienne.
On passe ensuite trois heures au musée Yasser Arafat, où on revit toute l’histoire moderne de la Palestine. Notamment le siège d’Arafat durant trois ans dans son quartier général cerné par des chars israéliens. Le type vivait reclus dans une piaule grande comme mes chiottes, avant de se faire empoisonner par le Mossad et de mourir en France. Grand discours à l’ONU avec le fusil et la branche d’olivier.
Bien sonnés, on ressort, bien décidés à se mettre une bière pour se remettre de nos émotions. On retourne à l’hostel en boire une, et en fait la connaissance de N, 20 ans, qui nous dit qu’elle a adoré Nablus (Naplouse, qui se prononce en réalité Nablous).
Aël contacte un ami de son père, D, qu’on retrouve un peu plus tard au Fuego, un bar simili mexicain de Ramallah. D était garde personnel de Mahmoud Abbas, et nous raconte des tas d’anecdotes incroyables. Il nous raconte aussi toutes les frustrations quotidiennes qu’il subit en tant que Palestinien, et les petits arrangements qu’il trouve avec la vie.
On bouge ensuite dans un autre bar branchouille tenu par deux sœurs, K et C, où Peco et moi savourons un délicieux risotto palestinien. L’endroit est incroyable, une espèce de chalet suisse bardé de décorations de Noël, où la jeunesse palestinienne écluse des Taybehs (la bière locale) en écoutant de la salsa. On rigole, on discute avec les jeunes du coin. Des sourires à chaque parole, des grands yeux pleins de vie, une envie de résister et d’exister. Le tout sans ambiance pesante, sans malaise. Les gens parlent de leur situation sans gêne, avec l’envie de la partager, pris entre la nécessité d’exister en tant qu’êtres politiques et la volonté de vivre comme tout le monde.
D nous propose de nous faire visiter Naplouse demain, car c’est sur sa route pour aller à Jénine, là où vivent sa femme et ses deux enfants. Rendez-vous est pris, demain 9h30 (« à la française, pas à l’arabe ») devant le tombeau de Yasser Arafat. On rentre en titubant, et on se couche, certains d’avoir trouvé à Ramallah une ville pleine d’espoir et de vie.