Les nouvelles ne sont pas bonnes vues de l’Occident. Mais je crois beaucoup en la notion de point de vue, pour ce qui est des informations. Là-bas, la vie continue. C’est ce que me dit Salia, c’est ce que me dit Tristan. Je ne réalise pas vraiment que je pars là-bas. Et je ne réalise pas non plus l’ampleur de cette ville, son intensité. Nous irons voir les derviches, le sphinx, les marchés, en logeant dans un appartement sur le Nil. Allons-y.
3 février 2014
Aujourd’hui, c’est tranquille. On retourne au Khan acheter des conneries. Secteur des épices, on en prend plein les narines. On rentre en taxi à l’ancienne, avec un roi du klaxon ancien régime. Nous faisons une double course, avec un inconnu qui prend la place du mort. Nous faisons ce soir un bar hopping, sortie très en vogue au Caire.
On a rendez-vous à l’Estoril, sorte de vieux bar années 50 aux lumières tamisées et aux moquettes murales fauves. Rien n’a bougé depuis les années 50, ni les serveurs, ni les photos aux murs, ni le menu en français que l’on imagine entre les mains de diplomates expatriés de la IVème République. Le chef de salle est petit, trapu et dégarni, et arbore fièrement une attitude de maître d’hôtel parisien (l’air condescendant en moins). Nous sirotons des bières en attendant les autres. Salia prend une scalop panée, plat typique que les Égyptiens ont conservé, et dont ils se sont approprié jusqu’au nom (certains allant même jusqu’à prononcer scalop banée).
Nous déménageons au Lotus Hotel, perché au sommet d’un immeuble décrépit. Nous nous attablons sur un minuscule balcon où un couple visiblement en train de se séparer nous cède sa place. À l’ombre des paraboles, nous descendons quelques bières supplémentaires en se fendant la poire. Alex est français, vit ici depuis deux ans sans parler arabe, et c’est un genre de conseiller juridique au gouvernement. Marwa est actrice, brune et complètement tarée. Sherif, alias Crevette, parle un français absolument parfait, ce qui me laisse pantois.
Nous filons ensuite à l’After Eight où un DJ pathétiquement ennuyé et ennuyeux nous délivre un mix de daube fade et sans goût, peut-être pour en finir avec nous afin d’aller se coucher plus vite. Cet endroit pourrait être génial avec une belle bande-son.
Delia nous ramène en voiture. Ce sera ma dernière nuit de sommeil au Caire.
4 février 2014
Aujourd’hui, je décide après moult hésitations de me rendre à la Citadelle de Saladin. Salia hésite à me laisser partir tout seul dans les tentacules du Caire, et elle est surprise et fière de constater que je me débrouille comme un grand. Là-haut c’est joli, mais plein de touristes, tous arabes bien entendu. Dans la mosquée, je me fais rappeler à l’ordre par un gosse à cause de mes chaussures, posées à côté de moi sur le sol. Un autre gosse me prend en photo. Il n’y a pas grand-chose à voir, si on n’est pas intéressé par le musée de l’armée. Je redescends.
J’aide Salia à préparer une présentation pour son travail. Nous sortons pour ma dernière chicha, en compagnie de Mina, Zayed et Delia. On ne dirait vraiment pas que je n’ai passé qu’une semaine ici. Soudain, Salia reçoit un coup de téléphone de Hani, son parrain que j’avais rencontré à la cérémonie, qui lui dit qu’il souhaite me dire au revoir avant mon départ. Je suis un peu décontenancé, mais on décide de tous aller le voir. Il nous donne rendez-vous dans un genre d’espace culturel, un local désaffecté reconverti en atelier de peinture et de prières. On se salue et il m’explique qu’il m’a préparé un enregistrement d’une cérémonie soufie célébrée par leur grand maître, Mohamed Osman Abdou Al Bahany. C’est un document audio très rare, qu’il m’a gravé tout spécialement sur un CD. Je ne sais absolument plus où me mettre.
Il me prend la main, y glisse un chapelet de prière en perles de bois. Puis il me serre dans ses bras, me regarde droit dans les yeux et me dit, You will be back.