Bel exemple de synergie totalement involontaire entre les rédacteurs de la Culture de l’Ecran, mais les deux têtes de feu le merveilleux groupe Supergrass sont à l’affiche. Et aux côtés de l’interview du batteur (et bien plus que ça) Danny Goffey par Gus, voici, en chanson de la semaine, la chronique du premier single du nouvel album de Gaz Coombes, qui en fut le chanteur, guitariste et bien d’autres choses…
« World’s Strongest Man » est le troisième album de l’artiste d’Oxford depuis la séparation de Supergrass, trois albums où il s’est ingénié à pousser chaque fois plus loin sa soif d’aventure et ses d’envies d’expérimentation. Seul, libéré de devoir livrer cette pop catchy et sautillante qui lui était devenue un carcan (même si la pop de Supergrass s’était joliment complexifiée au fil des albums), Gaz Coombes se permet d’aller au fond de ses envies de psychédélisme, d’ambiances synthétiques ou pastorales. Je vous avais déjà présenté ce talentueux multi-instrumentiste avec le lancinant « 20/20 », issu de son précédent « Matador » (SOTW #44). Ce nouvel album est comme son ironique titre l’indique plus gonflé, avec une ration plus généreuse de guitares dissonantes, de claviers analogiques, de rythmiques up tempo. Cet album, Gaz Coombes l’a réalisé en grande partie en solitaire et il s’est inspiré des travaux de Frank Ocean (surtout de « Blonde », un album où les textures en mille-feuilles dominent), on retrouve ça et là des rythmiques hip hop à la Beck (le truculent second single « Walk the Walk ») et les mélopées hantées que ses concitoyens de Radiohead affectionnent (le bassiste Colin Greenwood participe d’ailleurs à « Oxygen Mask »). Le quarantenaire affirme aussi un style vocal assez impressionnant, avec un registre très ample et une aisance dans le falsetto tout à fait remarquable. Et si la hargne et l’insouciance de la jeunesse ne transparaît plus (« Caught by the Fuzz », c’était il y a presque vingt-cinq ans…), la maturité lui sied à ravir. « World’s Strongest Man » est aussi un album de songwriter, écrit par un homme qui s’interroge sur ce que c’est d’être un homme responsable aujourd’hui, qui accepte sa vulnérabilité, assume ses ratages et fustige la masculinité toute puissante et toxique (dans la très belle « Wounded Egos »). L’exubérant jeune homme aux triomphantes rouflaquettes et au rictus grimaçant est devenu un adulte à l’élégance bohème soignée (avec trait de khôl et ongles peints tout de même), joignant ainsi l’allure au discours, naturellement bien plus introspectif.
« Deep Pockets » est une cavalcade paradoxalement très planante, générant une impression d’espace grâce à un rythme motörik complètement redevable aux travaux des groupes allemands 70’s de Kosmiche Musik comme Neu! et bien évidemment au Bowie de la fin des 70’s (on pense à « Red Sails », dans « Lodger »), deux influences parfaitement digérées par Gaz Coombes. Ne se complaisant pas dans le passé, il semble aussi avoir étudié très sérieusement les disques de TOY. Une basse doublée d’un synthé, une boîte à rythmes sur laquelle se greffe une ligne de batterie toute droite avec de brefs roulements qui ponctuent l’affaire installent une impression de vitesse, comme si l’on voyageait dans une voiture à la suspension souple. Ca tombe à pic, car le refrain place un homme à l’arrière d’une voiture qui voit la vie défiler sans rentrer dedans.
« It’s no fun/When I spend my time in cars/Like the stars/But I’m OK/I’m OK/In a smaller orbit/Let’s run like horses ». (Ce n’est pas drôle/de passer ma vie dans des voitures/comme les stars/mais je suis OK/je suis OK/dans un petit cercle/alors courrons comme des chevaux)
De furieux breaks de guitare dissonante montrent que Gaz Coombes refuse de suivre les règles d’une belle ordonnance pop. Ca ne nuit en rien à l’ensemble, et bien au contraire cela donne une sacrée personnalité à cette chanson. Et quand arrive le refrain, on part en lévitation, dans une dynamique flottante qui vous tire vers l’infini, et je trouve cet arrangement fantastique. La voix alterne entre le ton saccadé des couplets et le baryton ample des refrains, avec les contre-chants en fausset, en une harmonie parfaitement maîtrisée. Chanson idéale pour les longues chevauchées nocturnes en voiture, mais pas seulement, « Deep Pockets » est une nouvelle réussite à mettre au compte d’un formidable artisan pop.
Live at Later… At Jools Holland (BBC) :