Juste avant d’attaquer une tournée qui s’annonce triomphale (première date le 11 juin aux Nuits de Fourvière) et après avoir glané des lauriers unanimement distribués par toute la presse et tous les médias pour son nouvel album « Blitz », Etienne Daho en dégaine un second single après l’amniotique « Les flocons de l’été », « Le jardin » accompagné d’un clip pour le moins martial qui décline l’esthétique érotique SM très « Portier de Nuit » et « Scorpio Rising » de son intrigante pochette. Clip pourtant nullement illustratif, car « Le jardin » est une chanson très émotionnelle et importante pour Daho qui rend ainsi hommage à Jeanne, sa soeur aînée décédée brusquement et sans prévenir en 2016. Et plutôt que de composer une chanson élégiaque forcément triste, il a préféré lui rendre un vibrant hommage, plein de vitalité, imaginant son esprit planant au dessus du jardin d’Eden, fantasmagorie de sensations et de parfums où elle repose.
Jardin anglais s’il en est. Touffu, à l’ordonnance bohème, aux fleurs mélangées, ce jardin comme le reste de « Blitz » a bien entendu été conçu et mis en boîte à Londres, lors d’une période créative au long cours dont Daho est coutumier. Il s’est pour se faire installé dans un petit appartement du quartier d’Earl’s Court, lequel se trouvait, hasard total, dans la même rue que celui qu’occupait feu Syd Barrett, légendaire fondateur, chanteur et compositeur de Pink Floyd qui quitta le groupe en 1967 après le flamboyant « The Piper At The Gates Of Dawn » à cause de trop importants troubles mentaux. Etienne Daho, fan transi de cet album et de ceux en solo de Barrett fut transfiguré par cette coïncidence. Par l’entremise du colocataire de Barrett, le peintre Duggie Fields, Daho a même pu s’imprégner des vibrations de l’appartement. Il en tirera une chanson « Chambre 29 » et cela lui permit de définir la couleur de « Blitz », pop psychédélique à fleur de peau à base de guitares, d’arrangements de claviers et de choeurs foisonnants. L’autre grande influence de ce disque est le groupe irlando-californien Unloved, qui avait créé avec son premier disque « Guilty Of Love » une pop cinématographique complètement démesurée, profonde et aventureuse, rappelant les grandes heures des girl groups des sixties. Daho, quand il est mordu, s’immerge totalement dans sa passion du moment et a réussi à travailler avec Unloved pour certains morceaux de l’album. Fan total, Daho a toujours cité ses influences… « Pour nous vies martiennes » en 1988 recyclait les riffs de the Jesus and Mary Chain qu’il idolâtrait à l’époque, « Paris Ailleurs » en 1991 suintait la soul music américaine (il écoutait Marvin Gaye en boucle), « Eden » en 1996 célébrait son enthousiasme pour la scène jungle anglaise. A chaque album sa thématique, son influence, sa couleur et son esthétique, Daho, élève surdoué, a très bien retenu les leçons du professeur Bowie.
Les albums récents d’Etienne Daho ne sauraient que recycler son back-catalogue. On peut bien sur déceler des analogies, son écriture très personnelle et sa voix qui l’est tout autant sont immédiatement identifiables. On a toutefois toujours l’impression de le redécouvrir à chaque fois. On aime tout autant « L’invitation », très acoustique, orchestral et autobiographique, « Les chansons de l’innocence retrouvée » qui lorgne sur la disco et les arrangements à la Last Shadow Puppets que ce « Blitz » épique au parfum étrange et capiteux qui fait tourner la tête. A soixante-deux ans, l’homme à la silhouette toujours adolescente montre bien sûr quelques rides, mais son inspiration reste incroyablement féconde, Etienne Daho reste plus que jamais enthousiasmé par la nouveauté et fait preuve d’une élégance inaltérable.
Les choeurs troubles et aériens qui survolent « le jardin », les guitares très rock qui le pavent, les orgues acides qui l’animent, la roide batterie qui le rythme, tout est réuni pour que cette chanson fasse très vite partie de la longue liste des classiques d’Etienne Daho. Chapeau bas !