Lundi 12 octobre 2009, Damas, Syrie
Il est presque 16h sur ma terrasse quand déjà le soleil, tout de jaune doré, entame sa chute lente et fatale derrière le Mont Qassioum. Le quartier du Mouhajirin, qui me fait face à flanc de montagne, est envahi par une lumière chaude et cuivrée, lourde de poussière. Le ciel, vidé de ses nuages, d’un bleu marin, profond et infini, se dégrade pour tendre vers une pâleur jaunâtre, proche du gris, pollué et éblouissant, de l’horizon. Au loin, dans mon dos, le muezzin de la Grande Mosquée des Omeyyades lance depuis le minaret de la Fiancée son quotidien appel à la prière. La clameur s’échappant des pierres du lieu saint, dont les murs sont déjà en partie bercés par l’ombre, se répand sur l’ensemble de la cité. La voix du minaret de la Fiancée est bientôt imitée par toutes les autres. Les mosquées de la ville se mettent en branle, effrayant les oiseaux qui s’envolent dans un rayon de lumière doré. Les quartiers de la cité semblent se faire écho, dialoguer dans une clameur qui couvre tous les bruits de la ville : les populaires Midan et Bab Srijé répondent à la vieille ville qui semble interpeler Afeef et Mouhyiddine, alors que le traditionnel Mouhajirin s’abat sur l’aisé Shaalan. Le temps se fige dans cette clameur spirituelle et turbulente. Une douce torpeur m’envahit, légère sensation de flottement mêlée à une lourde contemplation. Mes yeux se plissent, le soleil orange chauffe mon visage, et dans cet horizon lointain où les pigeons semblent jouer avec les minarets exécutant leur partition, je perçois l’Orient, sa grandeur, sa richesse, son unicité. Une certaine nostalgie envahit les rues, une nostalgie imprégnée de l’odeur des épices, du marc de café aromatisé à la cardamome et du tabac à la pomme. Une civilisation se parle à elle-même sous mes yeux, et je ne peux pour l’instant que l’effleurer du bout des doigts, la sentir et la ressentir sans pour autant encore la vivre.
Dans cette cohue mystique, du haut de ma terrasse, j’aperçois au loin une bannière étoilée, se dressant au dessus des toits depuis la représentation diplomatique américaine. L’impétuosité occidentale doit se sentir bien petite face à la grandeur d’un tel spectacle.